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LES CYPRINS

De la Blanchère a pu résumer judicieusement les auteurs de son temps, et cependant, il avoue qu’il perd son latin dans l’analyse et la classification de la famille cyprinoïde. Jordan et Gilbert ont progressé un peu, mais sans avoir droit de se vanter d’avoir débrouillé cette genèse, bien loin de là. Les cyprins restent quand même de la blanchaille, des poissons blancs.

Encore ont-ils leur valeur propre, comme nourriture, pour les hommes, d’abord, pour celle des gros poissons, ensuite.

Tous les cyprins sont bons à manger, sont poissons de table, mais tous ne sont pas également utilisés à cette fin.

Quoique la carpe ne soit pas originaire d’Amérique, quoiqu’elle n’existe pas encore dans les eaux de la province de Québec, n’empêche que nous la tenons au premier rang dans la famille des cyprins, en hâtant le jour de son apparition sur nos marchés, en compagnie de la tanche, sa cousine, dont la culture si facile aurait dû être tentée par nous depuis longtemps.

Carpes et tanches, allez, vous avez les honneurs de la dent de l’homme — après avoir échappé à la dent des forbans de rivière — mais à votre suite, viennent de plein droit : le chevesne, l’ide, la dobule, la vandoise, naviguant dans le district de Québec sous le nom de gardons, et dans le district de Montréal, sous le nom de mulets. Toujours dans l’étiquette canadienne, viennent ensuite le moxostôme — notre prétendue carpe de France — qui n’existe pas plus en France que la carpe n’existe chez nous — le meunier (moxostoma macrolepidotum), le red horse des Anglais, la carpe commune ou carpe à cochon, très bonne à manger, en dépit ou à cause de son nom peut-être, dans les eaux froides du printemps, et quelques autres de forte taille que les pêcheurs mettent dans le paquet, avec les crapets, les perchaudes et les barbottes, sur le marché. Pour les petits, les ables, ablettes, vérons, brêmes-rosses, rotengles, qui se comptent par milliers d’espèces sous le nom de goujons, lorsque le goujon n’existe pas au Canada, non plus qu’aux États-Unis, nous ne leur faisons pas même l’honneur de les croquer en friture. Ils servent de pâture absolue, sans conteste, à nos poissons carnivores d’eau douce, le brochet, le doré, l’achigan, le maskinongé, le crapet, la perche, et tutti quanti. Ces minuces représentent comme nourriture, pour les poissons voraces, ce que sont les baies, les fruits sauvages sont pour les oiseaux. C’est le pain de tous les jours. On dit aux enfants : Ne gaspillez pas le pain du bon Dieu ; on n’aurait pas moins raison de leur dire : Ne détruisez pas les cyprins du bon Dieu ; car ils engraissent les beaux poissons qui vont figurer sur la table de l’homme, à côté de la table du bon Dieu. En Europe, on cultive les cyprins pour en faire de la provende aux murènes : il sera sage d’en faire autant bientôt au Canada.