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DES POISSONS

des mucosités qui nourrissent les autres, et dont il ne saurait tirer parti lui-même, étant isolé. Dans les sympathies du poisson, dans ses appétits, dans ses amours mêmes, nous croyons qu’il y a des microbes, beaucoup de microbes que nous signalons, à défaut de science pastorale, sous le nom de mucosités. Parvenues à l’âge adulte, elles continuent à naviguer de conserve, en chassant de droite et de gauche, chacune pour soi, bien entendu. Dans les cours d’eau rapides, elles se tiennent en dehors du courant, pourvu qu’il y ait de quatre à dix pieds d’eau. Les soirs d’été, vous les verrez courir le long des grèves, en quête d’écrevisses, sous les petits cailloux, qu’elles remuent du museau, prêtes à happer en même temps une mouche, une manne, une araignée, une sauterelle qui leur tombent du ciel. Ces habitudes de chasse à la brunante leur sont communes avec les crapets jaunes, verts et calicots, voire même avec les achigans d’un à deux ans d’âge.

Dans les lacs ferrés, semés de bocages d’herbes aquatiques en queue de renard, s’il se rencontre un riche pavillon adossé à des rochers caverneux, ayant vue sur un parcours croisé d’avenues et d’allées sablées bordées de cailloux chauves ou moussus, avec un domaine de dix à vingt pieds d’eau, et sans limites en étendue, vous pouvez compter que dans ce donjon logent des perchaudes de haute lignée, pesant parfois d’une à deux livres. Car, chez les poissons comme chez certaines tribus africaines, c’est par le poids que la beauté et la noblesse s’accusent. Là-bas, bien loin, au delà des terrasses, au delà des parterres, au delà des parcs, une masse grouillante de menu fretin, des ides, des carpettes, des ablettes de tout genre, des perchettes guettent les miettes de la table des dames du château. Laissez couler votre ligne eschée d’un lombric, d’un asticot ou d’une queue d’écrevisse, au beau milieu du parc, et vous allez voir les petits prolétaires de la banlieue montrer leur museau hors la haie, jeter un œil inquiet sur le donjon, puis, se précipiter d’un trait vers la bouchée appétissante. Mais, si vifs qu’ils soient, ils n’ont pas le temps de la saisir : ils sont saisis eux-mêmes et dévorés par la baronne de céans, pendant que la masse de ce petit peuple cherche un refuge dans les taillis herbeux.

Un achigan surgit, sur les entrefaites, et les baronnes, devant lui, regagnent à reculons leur château-fort. Croyez-vous que pour cela le petit peuple, la plèbe, la valetaille soit plus rassurée ? Pas le moins du monde. Un achigan vaut dix perchaudes a la curée : on ne suffit plus déjà à compter ses victimes, lorsqu’on le voit soudain hésiter sur son hélice, se retirer, doucement d’abord, puis s’enfoncer et disparaître dans la première allée venue. Qu’y a-t-il donc ? Un brochet, un maskinongé peut-être, vient de faire éclater d’un bond la troupe d’ablettes, comme le marteau du forgeron fait éclater en étincelles le fer rougi à blanc. Voyez