Page:Montpetit - Poissons d'eau douce du Canada, 1897.pdf/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
51
LE DORÉ

LE DORÉ


Lucioperca americana. — Sandre d’Amérique. — Pike-Pereh. — Pickerel. — Le Grand Doré. — Stizostedion vitreum. — S. Canadense Sauger.


Le premier parrain du doré, dans le monde de la science, fut Linnée le célèbre savant suédois, qui l’appela Lucioperca, un mot trop brillant pour un poisson que les compatriotes du fameux naturaliste traitaient de peureux et de bête stupide. Sous ce titre, il fut considéré comme un poisson d’un genre mitoyen entre perche et brochet ; il vécut dans cette gloire modeste, dormant sur des algues mieux que des héros sur leurs lauriers, jusqu’en 1817, alors que Cuvier le tira de ce doux sommeil pour le séparer de la famille des percoïdes et en créer le groupe des sandres. Ce fut une hérésie dont l’auteur revint, en 1829, dans la deuxième édition du Règne animal, où il ramène le doré dans les rangs des percoïdes, comme perca lucioperca. Il était trop tard ; dans l’intervalle, Rafinesque, ami et rival de Cuvier, était passé en Amérique, avait fait une étude sérieuse de notre doré, qu’il dénomme stizostedion, ce qui veut dire gosier étranglé. Les savants d’Amérique, d’ordinaire si simples, si pratiques, s’entichèrent de ce nom impossible, l’opposèrent au lucioperca de Cuvier repentant, et le maintinrent par temps et contretemps, sous la garde du drapeau étoilé, où il vivra encore longtemps. Pour rendre l’animal plus ridicule, ils lui ont ajouté quelque chose comme un lorgnon, en l’appelant stizostedion vitreum, que le malheureux est condamné à porter de jour et de nuit, durant toute sa vie. Croyez bien que le peuple américain n’a pas avalé le premier nom fait en couleuvre, stizostedion, et qu’il a su se venger de l’insulte faite à son poisson par le deuxième nom — œil de verrevitreum, lorsque son œil, au lieu d’être en verre, est un vrai diamant qui luit dans l’ombre, qui peut éclairer la plupart des savants du monde dans la nuit où ils marchent à tâtons. Qu’a fait le peuple pour se venger des savants ? Il a pris tous les noms qui lui venaient sur la langue et il en a couvert le doré, au point que la science y a radicalement perdu son grec et son latin. Je parle ici du peuple américain, car