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ACADÉMICIEN

ves, ténus, allongés comme un tissu dentelé. Tout cela immense parce qu’on voit tout le ciel. Au bord de ces nuages, la « rognure d’ongle d’ange » que Richepin reprit aux Bretons. Trop légère, trop petite dans ce décor où il en faudrait plusieurs. Les couleurs s’assombrissent peu à peu. Le croissant incline vers l’horizon où il rougeoie des derniers rayons de soleil. Quelle paix, quel silence ! On ne peut vraiment pas rêver plus merveilleux retour.

Le soir, un peu de terre, là où, le jour, des nuages blancs s’accumulaient comme des neiges. C’est le Labrador farouche, que des phares signaleront dans la nuit. Déjà le vent est plus chaud. Et le navire, qui se hâte, marbre la mer de taches vertes et bleues que veine l’écume.

Le lendemain, la côte de Gaspé. Des collines et des vallées successives. On devine des rivières qui aboutissent au pied des rochers arrondis, de petits villages où la vie que nous cherchons depuis des jours se retrouve dans son humble continuité. Le sol est un peu cultivé. Je retrouve ces rectangles que j’ai laissés à Cherbourg. C’est le même travail de la terre que des lignes signalent au loin et qui encerclent l’activité paysanne : mais tout à côté c’est la sauvagerie, le rocher abrupt, la montagne, reine et maîtresse, l’intérieur dont nous savons qu’il est intact.

Nous attendons l’argument du fleuve, le plateau qui se rapproche, les rives qui nous enserrent pour nous livrer la « route royale » vers le cœur du pays : Pointe-au-Père, Québec, Trois-Rivières, géographie française dont les noms, comme un écho de France, se sont arrêtés sur nos rochers.

C’est bien par cette voie, et par nulle autre, que le voyageur venu d’Europe doit entrer au Canada :