Page:Moréas - Les Premières Armes du symbolisme, 1889.djvu/30

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notions de qualité et de quantité que nos mots définissent avec précision, nous percevons encore dans les choses des affinités restées tout à fait indéterminées jusqu’à présent ; telle couleur évoque de vagues idées d’opulence, tel parfum transporte notre imagination en Orient, tel son nous met sous une impression triste. Nos abstracteurs de songes ont découvert qu’en s’appliquant à resuggérer ces sensations confuses, à reproduire artificiellement ces presque insaisissables excitations à la rêverie, ils obtiendraient un art étrangement subtil et raffiné auprès de celui que les poètes français ont pratiqué jusqu’à présent. Ils ne décrivent plus, ils ne peignent plus, ils suggèrent donc. La suggestion, c’est pour eux la poésie même :

Et tout le reste est littérature.


a déclaré Verlaine. Mais puisque, suivant Baudelaire, les parfums, les couleurs et les sons se répondent, c’est-à-dire puisqu’un parfum peut donner les mêmes rêves qu’un son et un son les mêmes rêves qu’une couleur, si une couleur est insuffisante pour suggérer une sensation, on use du parfum correspondant, et, si le parfum ne suffit pas non plus, on peut recourir au son. On procède par analogie en choisissant dans trois vocabulaires au lieu d’un ; c’est ce que les décadents appellent transposer. Ainsi quand Floupette s’écrie :

Ah ! verte, verte, combien verte,
Était mon âme, ce jour-là !


vous, non initié aux mystères de l’analogie, vous ne soupçonnez pas ce que peut être une âme verte. Mais