Page:Moréas - Les Premières Armes du symbolisme, 1889.djvu/45

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sant syllabe dans le vers, toutes les autres choses qui ont été interdites et surtout l’emploi facultatif des rimes masculines et féminines fournissaient au poète de génie mille moyens d’effets délicats toujours variés, inattendus, inépuisables. Mais pour se servir de ce vers compliqué et savant, il fallait du génie et une oreille musicale, tandis qu’avec les règles fixes, les écrivains les plus médiocres peuvent, en leur obéissant fidèlement, faire, hélas ! des vers passables ! Qui donc a gagné quelque chose à la réglementation de la poésie ? Les poètes médiocres. Eux seuls !

Le Détracteur. — Il me semble pourtant que la révolution romantique…

Théodore de Banville. — Le romantisme a été une révolution incomplète. Quel malheur que Victor Hugo, cet Hercule victorieux aux mains sanglantes, n’ait pas été un révolutionnaire tout à fait et qu’il ait laissé vivre une partie des monstres qu’il était chargé d’exterminer avec ses flèches de flammes !

Le Détracteur. — Toute rénovation est folie ! L’imitation de Victor Hugo, voilà le salut de la poésie française !

Théodore de Banville. — Lorsque Hugo eut affranchi le vers, on devait croire qu’instruits à son exemple les poètes venus après lui voudraient être libres et ne relever que d’eux-mêmes. Mais tel est en nous l’amour de la servitude que les nouveaux poètes copièrent et imitèrent à l’envi les formes, les combinaisons et les coupes les plus habituelles de Hugo, au lieu de s’efforcer d’en trouver de nouvelles. C’est ainsi que, façonnés pour le joug, nous