Page:Moréri - Grand dictionnaire historique - 1759 - vol. 1.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se présentent dès l’entrée même du Livre ; tels que sont les articles Abando, fleuve de la haute Ethiopie ; Aba, montagne de l’Arménie ; Aba ou Abée, ville de la Phocide ; & Abée, ville du Péloponnèse. Il paroit encore que l’on a trop négligé de débrouiller les noms différens que les changemens de domination ont fait prendre aux villes : erreur qui tantôt multiplie les articles inutilement, & tantôt confond ceux qui devroient être distingués. Ce n’est qu’avec une extrême exactitude qu’il est possible de réparer ces défauts ; & l’on prétendroit vainement y réussir, si l’on s’en rapportoit à la bonne foi de nos Dictionnaires géographiques. Leurs auteurs, peu scrupuleux s’embarassent rarement de nommer leurs garants, & semblent affecter de vouloir toujours être crus sur leur parole. Pour éviter de s’égarer sur leurs traces, c’est aux anciens Géographes qu’il faut avoir recours ; encore faut-il souvent se défier de leurs commentateurs.

On croiroit que la Géographie moderne est exposée à de moindres difficultés. Un grand nombre de Voyageurs ont du l’éclaircir dans ces derniers siécles ; cependant la diversité de leurs relations ne laisse pas d’embarasser extrêmement ceux qui s’attachent à les suivre. L’unique moyen de marcher surement, c’est de faire une très-grande différence entre ceux qui se sont légitimement acquis la réputation de gens éclairés & sinceres, & ceux qui semblent n’avoir écrit que pour imposer à la crédulité de leurs Lecteurs. Les compilateurs du Dictionnaire historique n’ont pas été fort exacts dans ce discernement : ce qui paroit dans l’article Aa, riviere, & dans un grand nombre d’autres, dont la discussion grossiroit trop ce projet.

III. C’est à la Distribution des Articles qu’il faut maintenant passer. Il semble d’abord qu’elle ne souffre aucune difficulté, & que les différentes matieres devroient se ranger d’elles-mêmes par l’ordre alphabétique ; mais cet ordre, tout naturel qu’il est, ne laisse pas d’être susceptible de certain choix : je m’explique. Une même ville, une même province, est appellée de plusieurs noms, qui commencent par différentes lettres de l’alphabet. Il m’a paru qu’il falloit toujours placer l’article sous le nom le plus connu, sans néanmoins supprimer les autres noms dans leur rang alphabétique, mais en les y conservant sans suite, & seulement pour les renvoyer au nom principal. J’avoue que Moréri & ses continuateurs ont connu cette méthode ; & je me suis fait un devoir de la pratiquer plus constamment qu’eux. Ils ont été plus négligens sur le choix qu’ils devoient faire entre deux ou trois noms différens, que porte une même personne chez les anciens. Souvent ils rangent un Romain suivant la lettre de son premier nom, qui lui est commun avec un million d’autres Romains ; au lieu qu’ils devoient le placer sous la premiere lettre de son nom de famille, moins général & même plus connu. Ainsi Marc-Antoine, dans la derniere édition de Hollande, tomboit sous la lettre M, devoit être employé à la lettre A, sous laquelle je l’ai rappellé dans la derniere édition de Paris : reste à faire dans cette édition grand nombre de changemens semblables. Les noms des modernes, sur-tout, se sentent de ces transpositions ; le Dictionnaire historique les distribue souvent sous leurs noms propres, Pierre, François, &c. au lieu de les faire venir par ordre de surnom, qui pourtant est celui par lequel on peut les distinguer.

IV. Quelque incommodes que soient ces transpositions, elles sont encore moins défectueuses que les changemens essentiels qui se sont glissés dans les noms propres. L’affectation d’habiller à la françoise ces noms étrangers, les a rendus presque méconnoissables dans mille & mille endroits. Non seulement les terminaisons grecques & latines y ont été quelquefois bizarement transformées, contre l’usage reçu ; mais dans le corps des mots mêmes, on a changé des lettres, qui souvent déterminoient la signification, ou caractérisoient la langue. Pourquoi, par exemple, ôter à des mots grecs l’y, qui leur est si naturel, pour lui substituer l’i, qui forme un autre sens ? Si c’est pour s’assujétir au caprice d’une orthographe moderne, & souvent vicieuse, on poura peut-être passer cette licence à ceux qui se la sont donnée, dans les mots ordinaires ; mais dans les noms appellatifs, on aura toutes les peines du monde à la souffrir, parcequ’elle les métamorphose absolument. Cependant, pour me conformer, autant que le bon sens le peut permettre, aux manieres les plus générales, quoique peut-être les moins sures, lorsque je me vois obligé de travestir les noms étrangers, je tâche au moins de les donner ensuite dans leur langue naturelle, entre deux crochets, comme on l’a judicieusement observé dans les éditions de Hollande. Je n’ai pas jugé devoir user de la même indulgence à l’égard des noms qui ont été grossierement altérés ; je me suis contenté de les conserver seuls, & sans aucun corps d’article, en la place qu’on leur a fait usurper mal à propos, pour leur donner ailleurs, avec plus d’étendue, celle qui leur appartient de droit. Ainsi je renvoie Achias petit-fils d’Hérode, à Achiab ou Aquiab ; Acholius, au mot Acolius ; Achrede au mot Achride.

V. Un autre défaut qui se rencontre dans le Dictionnaire historique, c’est que la plupart des histoires n’y sont pas toujours complettes. On se contente de rapporter quelques circonstances de la vie d’un héros, sans conduire la narration, jusqu’au dénoument