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qui doit la terminer. Rien n’est plus rebutant pour le lecteur, qui voit tromper à regret les justes mouvemens de sa curiosité, qu’un début éclatant avoit fait naître. La cause de cette mutilation n’est pas difficile à deviner. Lorsque les faiseurs d’extraits ont trouvé dans un auteur quelque trait d’histoire qui pouvoit être allégué, ils s’en sont accommodés, tout imparfait qu’il étoit, sans se mettre en peine, pour lui donner la derniere main, de fouiller chez d’autres historiens. Ce n’est qu’à force de travail qu’on peut suppléer à leur négligence ; & c’est une obligation que je m’imposerai toujours, sur tout dans les évenemens, dont la suite méritera le plus d’être éclaircie.

VI. Il semble que les auteurs du Dictionnaire aient trop souvent négligé l’histoire de leur siécle, pour ne moissoner que dans celle des siécles les plus reculés. Les recherches de l’antiquité sont trés-curieuses, on en convient, mais elles ne doivent pas exclure la connoissance des événemens importans qui se sont passés, ou de notre temps, ou de celui de nos peres. Un héros, pour avoir vécu de nos jours, n’en est pas moins héros ; au contraire, ses aventures nous intéressent d’autant plus, que le temps nous en approche de plus près, & nous le fait connoître plus distinctement. C’est sur ce principe que je crois devoir donner quelque soin à conserver la mémoire des grands hommes qui ont vécu presque à nos yeux, soit en France, soit ailleurs, & à marquer les dernieres révolutions des états qui nous sont les plus connus.

VII. La Fable mérite à son tour quelques réflexions. Outre que la diversité d’opinions des anciens mythologistes la rend d’elle-même assez confuse, ce n’est point d’eux que les compilateurs du Dictionnaire ont tiré leurs mémoires ; c’est de quelques modernes, la plupart de peu d’autorité. Souvent même ils en ont retenu les allégories forcées, qui donnent la torture au bon sens, & qui font languir le lecteur le plus avide. De peur de tomber dans les mêmes défauts, je n’ai conservé du sens moral des fables, que ce qui m’en paroissoit de plus naturel & de plus utile ; & j’ai préféré par-tout Homere, Hésiode, Apollodore, & les Scholiastes, à Noël le Comte, à Baudouin, & à d’autres modernes de même trempe.

VIII. On ne peut nier que les citations ne soient en quelque maniere la base & le fondement de tout un Dictionnaire. C’est par elles seules qu’un auteur se disculpe, & qu’un savant peut s’éclaircir des faits qui sont rapportés dans le corps de l’ouvrage. On ne peut donc y être exact, & ce n’est pas un petit tavail de rétablir les citations fausses, obscures, ou équivoques, qui terminent la plupart des articles. C’est alors, sur-tout, qu’il faut ne se reposer qu’à bon titre sur les ouvrages de la secnde main, & qu’il faut remonter, autant que faire se peut, aux sources originales.

IX. Ce seroit ici le lieu d’examiner s’il est à propos de faire quelque retranchement dans le Dictionnaire, pour le rendre plus parfait. Tous les savans décideront sans hésiter, qu’un semblable ouvrage ne devroit être grossi que de faits curieux ou utiles. J’en conviens avec eux ; mais ils doivent aussi m’accorder que dans la révision d’un Dictionnaire, qui est de la portée de tout le monde, on doit sur-tout éviter d’effaroucher les foibles, qui se paient plus d’apparence que de raison. Supprimez quelques bagatelles, ils ne manqueront pas d’inférer de-là que vous en avez usé de même à l’égard des choses les plus essentielles. Vous aurez beau vous récrier, & citer pour vous trois ou quatre savans du premier ordre, vos raisons ne seront point entendues, ce sera le public qui vous jugera, & vous serez condamné à la pluralité des voix. Ainsi, pour m’épargner les reproches qu’une conduite trop sévere m’attireroit infailliblement, je conserverai, même malgré mon penchant, quelques faits de peu d’importance, qui auront été insérés dans cet ouvrage par ceux qui m’ont devancé ; & je me contenterai, en réformant par-tout l’élocution, d’en retrancher quelques superfluités de mots & de phrases, qui font traîner le style, & qui le jettent dans une langueur insupportable.

X. Reste à parler ici des Généalogies, ausquelles Moréri a donné rang dans ce Dictionnaire. Le public est extrêmement partagé sur le droit qu’elles peuvent avoir d’y entrer. Quelques beaux Esprits de profession, gens accoutumés de trancher, leur donnent nettement l’exclusion, & prétendent qu’elles enflent mal-à-propos un Livre destiné pour des recherches plus solides. Les autres, beaucoup moins rigides, regardent les généalogies comme une partie essentielle d’un Dictionnaire, où l’on doit découvrir d’un seul coup d’oeil tout ce qui concerne l’histoire universelle & l’histoire particuliere. Sur ce pied, pour céder au plus grand nombre, bien loin de retrancher absolument les généalogies, je m’attacherai à les perfectioner : & si je suis réduit à en supprimer quelques-unes, je n’userai de cette rigueur que contre quelques familles obscures, que l’intérêt ou la faveur auront fait glisser entre les autres plus illustres. »

C’est sur ce projet que parut l’édition de ce Dictionnaire l’an 1704. Il y en a encore eu une depuis, qui parut en 1707, dans laquelle on a inséré plusieurs nouveaux articles.

L’édition de 1712 a été augmentée d’un volume entier. Non seulement on y a inséré plusieurs articles nouveaux, mais on y a retouché & réformé plusieurs articles anciens, &