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attaquer la Neustrie, lorsqu’Abderame passa les monts, poussa Munuza jusque dans une ville de Cerdagne qui portoit anciennement le nom de Julia-Livia, près des ruines de laquelle on a bâti depuis la forteresse de Puicerda. Munuza fut bientôt forcé dans cette ville, & obligé de se réfugier auprès d’Eudes son beau-pere, qui de son côté avoit été vaincu plus d’une fois par Charles Martel. Mais les Sarasins poursuivirent de si près le malheureux Munuza, qu’il fut contraint de se précipiter du haut d’un rocher, pour éviter de tomber entre leurs mains. Sa femme, très-belle princesse, fut faite prisonniere, & envoyée à Damas, pour être mise dans le serrail du calife. Abderame ne manqua pas d’attaquer Eudes à son tour : il entra en France par le pays des Gascons, où il prit Bourdeaux ; & de-là, après s’être avancé jusqu’à la Dordogne, il passa cette riviere, & présenta la bataille au duc, qui fut vaincu, n’ayant pas attendu les François, avec lesquels il avoit fait la paix, & prit ensuite le parti d’aller au-devant de Charles Martel, qui étoit près de passer la Loire pour le secourir. Abderame qui le suivoit, fit des ravages incroyables dans le Périgord, la Saintonge, l’Angoumois & le Poitou. Plusieurs villes furent pillées, un grand nombre d’églises mises en cendres, & celle de S. Martin de Tours auroit eu le même sort, si Abderame n’eût trouvé sur sa route Charles Martel, auquel Eudes s’étoit joint avec des troupes assez nombreuses. Les deux armées en présence proche de Poitiers passerent près de sept jours à s’éprouver par des escarmouches : enfin le septiéme on en vint à un combat général, où les Sarasins qui attaquoient avec assez peu de précaution, furent entierement défaits par les François. Abderame y fut tué avec un très-grand nombre des siens, que quelques auteurs font monter jusqu’à trois cens soixante mille. Il n’y a point de doute que le duc d’Aquitaine n’ait eu grande part au péril de cette journée, puisqu’il partagea les riches dépouilles des vaincus avec les François, qui le laisserent paisiblement se rétablir dans ses états. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que les anciens historiens ne nous aient pas laissé un détail plus exact de cette grande action, qui termina le cours de la prospérité des Sarasins, & qui commença la ruine de leur puissance en Europe. Cette bataille fut livrée l’an de J.C. 732, & de l’hégire 114. * Roderic. Tolet. hist. arab. c. 10. Marmol, de l’Afriq. l. 2. Isidorus Pacensis, chron. Mezerai, Cordemoi, hist. de France. D’Herbelot, bibl. orient. Voyez aussi les auteurs cités dans le 1 tome de l’hist. de Nisme, par M. Menard, p. 103 & 104.

ABDERE, compagnon d’Hercule, qui lui donna à garder les cavales de Diomédes qu’il avoit enlevées, pour aller contre les Bistons, qui avoient pris les armes. A son retour, il trouva que les cavales avoient mis Abdere en piéces. Pour se consoler, il bâtit une ville auprès du tombeau de ce jeune homme, & lui donna le nom d’Abdere. * Bayle, dict. crit.

ABDERE, ville maritime de Thrace, située près de l’embouchure du fleuve Nestus. Quelques-uns veulent qu’elle ait été bâtie par Abdera sœur de Dioméde, ancien roi de Thrace, qui nourrissoit, dit-on, ses chevaux de chaire humaine. D’autres croient qu’elle devoit son origine à Hercule, qui, selon eux, la surnomma Abdere, en faveur d’Abdere, l’un de ses compagnons, qui avoit été dévoré par les jumens de Dioméde. Quoi qu’il en soit, elle fut rebâtie par Timesius, chef d’une colonie de Clazomeniens, habitans d’une ville d’Ionie, la seconde année de la XXXI olympiade, 655 ans avant J.C. Les Clazomeniens ne purent néanmoins jouir de leur nouvelle fondation ; car avant mêne que de l’avoir achevée, ils furent chassés par les Thraces. Ainsi ce ne fut que 112 ans après, qu’Abdere fut véritablement rétablie. Ses nouveaux fondateurs furent les Téïens, qui voyant leur ville sur le point d’être prise par Harpagus, lieutenant du jeune Cyrus, abandonnerent tous l’Ionie, & passerent dans la Thrace, où ils choisirent Abdere pour séjour, la seconde année de la LLX olympiade, 543 ans avant J.C. Cette ville est célébre dans l’histoire pour les plaies dont elle a été frapée en différens temps. L’air en étoit contagieux, & communiquoit aux hommes une espece de folie extraordinaire : les bêtes même qui goutoient les pâturages des environs, & les eaux du fleuve Cossinite, entroient dans une espece de rage ; fléaux qui peut-être donnerent lieu au proverbe ironique des Grecs sur le nouvel établissement des Teiens : Ἄϐδηρα, καλὴ Τηίων ἀποικία, Abdere la belle colonie des Teïens, quoique Strabon semble néanmoins citer cet éloge très-sérieusement. On remarque encore que sous le regne de Cassander, roi de Macédoine, les Abderitains furent inondés d’un déluge de grenouilles & de rats, qui les contraignit de déserter pour un temps ; mais rien n’est plus étonnant que la maladie dont ils furent affligés sous le regne de Lysimachus dans la Thrace. Un certain Archélaüs, excellent acteur, avoit représenté à Abdere l’Andromede d’Euripide. Ce spectacle qui se donna dans l’été, remua tellement l’imagination des Abderitains, qui pendant sa durée avoient été exposés à de violentes chaleurs, qu’au sortir du théâtre la plupart furent saisis d’une fiévre ardente. Les symptômes en étoient extraordinaires ; car ceux qui en étoient saisis couroient les rues, en déclamant des morceaux entiers d’Euripide à l’imitation d’Archélaüs. Cette maladie, qui ne cessoit qu’au bout de sept jours par une espece de crise, passa des uns aux autres, & régna dans cette ville jusqu’à l’hyver suivant. Si l’on en croît Ovide, les habitans de cette ville avoient coutume de dévouer à certain jour, pour le salut de tous les autres, quelques malheureux citoyens qu’on assommoit à coups de pierre. On fait le jugement peu favorable que plusieurs anciens ont porté des Abderitains, qui passoient pour des gens grossiers & sans génie, à cause, sans doute, de la grossiereté de l’air qu’ils respiroient : d’où est venu cette expression de Martial :

Abderitanæ pectora plebis habes.

pour dire, vous êtes un stupide, Leur ville a néanmoins donné naissance à de grands hommes, tels que Démocrite, Anaxarque, Hecatée, le poëte Nicænetus, &c. * Herodot. l. 1, c. 2, 168, l. 7, c. 109 & 126. Solin, c. 10. Pompon. Mela, l. 2, c. 2 & 6. Strabon, l. 14. Apollodor. Justin. l. 15, c. 2. Plin. Lucian. in tractatu quomodo historia fit scribenda. Cicero, de natura deorum, in epist. ad Attic, l. 4, epist. 16 & l. 7, epist. 7. Juvénal, satir. 10. M. Bayle, dict. crit.

ABDIA, montagne dans la tribu de Manassé au-deça du Jourdain. On lui a donné ce nom parcequ’on prétend que c’est celle où Abdias cacha cent prophétes, pour les sauver de l’impie Jezabel, & les y nourrit à ses dépens, jusqu’à la mort de cette méchante reine. Cette montagne est toute percée de cavernes, qui du temps d’Herode le grand, servirent de retraite aux voleurs. Ce prince les en fit sortir par la force ; & pour empêcher qu’ils n’y pussent retourner, il les fit presque toutes combler. * III Rois, chap. XVIII. Josephe, antiq. Jud.

ABDIAS, prophéte, dont le nom signifie serviteur du Seigneur : c’est le quatriéme de ceux qu’on appelle petits prophétes, selon l’ordre des exemplaires hébreux & de la vulgate ; le cinquiéme dans les exemplaires des septante. S. Jérôme semble croire, avec les Hébreux, qu’il est ce même Abdias intendant de la maison d’Achab, qui cacha les prophétes que Jezabel vouloit faire mourir. III Reg. c. 18, v. 3. L’auteur du livre intitulé de vitis prophetarum, qu’on attribue à S. Epiphane, assure qu’Abdias est ce capitaine auquel Ochozias commanda de se saisir d’Elie, IV Reg. c. 1, v. 9. D’autres soutiennent que cet Abdias avoit été le mari de cette veuve qu’Elisée délivra de la poursuite de ses créanciers, en multipliant le peu d’huile qui lui restoit. IV Reg. c. 4, v 2. Mais si l’on en juge par les