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croisé, ce jour-là, au fleuve, et dont je rencontrai, six mois plus tard, les restes, en revenant par le même chemin.

Avec quel enthousiasme, avec quelles agréables visions de l’avenir de ces régions, ai-je marché cette année-là jusqu’au pied des Andes, en face de Valdivia, et ai-je vécu de la vie du Seigneur de la Terre dans les tolderias des caciques Shaihueque et Ñancucheo, pour arriver ensuite au lac Nahuel-Huapi, réalisant ainsi mon rêve d’enfant ! Que de doux souvenirs me laisse cette évocation ! Comme s’écoulaient les heures dans la contemplation de ces paysages vierges encore de civilisation, et que je couvrais, dans mon imagination, de troupeaux, de semailles, d’industries, et de navires sillonnant fleuves et lacs !…

Le chemin de fer n’arrivait alors qu’à Carmen de Las Flores, à 200 kilomètres de Buenos Aires, et que de magnificences naturelles étalait le territoire parcouru de cette station au grand lac ! Je ne comprenais pas qu’une nation virile, maitresse d’un des morceaux les plus beaux et les plus fertiles de la terre ne se préoccupât pas de l’étudier pour profiter de toutes ses ressources ; je cherchais la cause de cet abandon, et la trouvais dans les faciles jouissances matérielles du grand centre — Buenos Aires — où inconsciemment, nous concentrions nos aspirations, enveloppés dans le cosmopolitisme qui nous absorbait, y étalant notre vanité de maitres d’une terre généreuse, et nous contentant du souvenir des gloires passées que, dans notre paresse, nous admirions comme des efforts d’hommes différents de ceux d’aujourd’hui, sans penser un instant que tous les hommes sont égaux quand ils aiment et vénèrent de la même manière le sol où ils sont nés.

Un an plus tard, trouvant de nouvelles terres, des fleuves et des lacs navigables, des forêts immenses, dans les sources du Santa Cruz, et en traversant les terres fertiles entre ce fleuve et Punta Arenas, comme s’élargissait mon esprit devant de telles preuves de richesses ! et quel souhait ne faisais-je pas pour que l’on en tirât profit pour l’agrandissement de la République !

En 1876, je pus visiter la colonie naissante du Chubut, oasis dans le désert, isolée a l’extrême sud à la manière des établissements danois dans le glacial Groënland, tant était inconnu l’intérieur de la Patagonie. Le Port Deseado se trouvait encore dans le même état où l’avait laissé Viedma, en l’abandonnant au siècle passé, et la baie de Santa Cruz était aussi solitaire qu’au temps où l’amiral Fitz Roy répara là les avaries de la vieille « Beagle », en profitant des marées qui appellent encore si peu l’attention pour l’utilité de nos ports. Accom-