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Nous nous trouvons brusquement plongés dans le passé, en face de l’inanité des choses humaines, en rencontrant les crânes blanchis et les os dispersés d’un cimetière indigène tout bouleversé par les chercheurs d’ornements d’argent. Après avoir laissé derrière nous ce lugubre spectacle nous pénétrons dans une plaine magnifique où nous aurions voulu trouver la laiterie qui complèterait ce tableau enchanteur. Les petits lacs de Nompehuen et de Ñorquinco (planche VII, fig. 1 et 2) occupent le centre, et les ruines du fortin avancé évoquent les mauvais moments passés. Ici flotta la bannière aimée, lors des pénibles marches aux postes avancés de nos soldats, accomplissant le devoir sacré de défendre la patrie, sans préoccupation étrangère à ce noble idéal. Ici sont les tombes de ceux qui furent transpercés par les lances des sauvages, dans leurs luttes de cent contre un. Pauvre soldat ! ton sacrifice anonyme n’a pas encore donné de résultat, et son souvenir en est déjà perdu…

Nous campons au même endroit où la sous-commission argentine de démarcation s’est établie l’année dernière, et le lendemain j’atteignis la Vallée de Reigolil où se trouve l’établissement indigène de Curanemo (planche VII, fig. 3) ; je visitai la borne (1060 m.) placée à la source des rivières qui forment le divortium aquarum continental, auquel on arrive insensiblement car la pente n’est pas de cinq pour mille depuis l’Aluminé.

La gorge est ininterrompue entre la plaine occidentale et l’Aluminé ; et difficilement on peut considérer ce parage comme le dos d’âne andin, sans recourir à d’autres investigations. Ce chemin de Reigolil se fait au grand galop sous des galeries de roseaux et d’arbres fruitiers, et il est un des rares qui puissent être fréquentés, pendant l’hiver, jusqu’aux localités de la vallée centrale du Chili. Le puissant massif de Zolipulli, qui se prolonge au nord-ouest, coupé par les eaux qui proviennent de la dépression où l’on a érigé la borne-frontière, paraît être la continuation des montagnes neigeuses que j’avais aperçues depuis la moraine du lac Aluminé et depuis le lac Guayetué. L’impression que je reçus de cette excursion est qu’il est nécessaire de procéder à une étude très détaillée de la contrée afin de pouvoir tracer avec sécurité, et d’accord avec la lettre et l’esprit des traités, la ligne de frontières internationales qui doit passer en cette région ou zones voisines : c’est un nouvel et important argument de plus qui vient renforcer ma conviction antérieure sur l’absolue nécessité qu’il y a à effectuer une étude générale en règle de la Cordillère des Andes, avant de procéder à la démarcation en détail de la frontière com-