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Un soir de l’automne 1877, Pierre Dubreuil revenait d’une de ces excursions, quand au détour de la route, à proximité du petit bois qui terminait de ce côté sa propriété, son cheval tout à coup se cabra, renâclant furieusement et refusant d’avancer. Il mit pied à terre pour connaître la nature de l’obstacle imprévu qui l’arrêtait ainsi : sur le talus du fossé longeant la route, un enfant au maillot était étendu et poussait des vagissements plaintifs.

Sans se donner même le temps de la réflexion, il avait pris dans ses bras le pauvre bébé abandonné et l’avait emporté chez lui avec des précautions inouïes. Dans la cour précédant son habitation, rencontrant Rose, la gouvernante fidèle qui servait de mère à Raymonde, il lui avait remis son précieux fardeau en lui racontant sa trouvaille.

— Oh ! le pauvre chéri, avait dit Rose.

Et avec cette bonté si touchante des paysannes tourangelles, elle avait borné là ses réflexions et avait couvert de baisers et de caresses le petit être, qui déjà ne pleurait plus. Puis quand elle l’eut attentivement examiné et fait l’inspection des langes qui l’enveloppaient :

— Ce ne peut être assurément, dit-elle, qu’un enfant abandonné. Sa famille n’est point de ce pays, car personne, à dix lieues à la ronde, n’a coutume d’emmailloter de cette façon un enfant. Le linge d’ailleurs est d’une rare finesse, mais n’est point marqué : ce serait bien un enfant volé, peut-être….

— Mais non, Rose, c’est impossible, répondit M. Dubreuil ; on ne vole point un enfant pour l’abandonner ensuite sur les grands chemins. Mais dis-nous, est-ce un garçon, est-ce une fille ?

— C’est une fille, maître, et voyez comme elle