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laissé à lui-même, le métis français épousait avec passion la cause de ses maîtres, et se laissait pousser par eux à des écarts regrettables. En definitive, la responsabilité en revenait aux Écossais et autres bourgeois qui en étaient les instigateurs ; mais les Canadiens et leurs enfants par des sauvagesses n’en assumaient pas moins tout l’odieux devant leurs contemporains.

Une circonstance qui devait avoir les conséquences les plus graves pour l’avenir du pays n’allait pas tarder à fournir à la classe dirigeante l’occasion de mettre à profit le dévouement aveugle des métis français et de leurs pères.



Pendant que les deux compagnies se faisaient une guerre sourde et peu loyale, également nuisible aux intérêts des deux partis, dans la lointaine Écosse, un homme aux larges vues, un philanthrope qui ne se contentait pas de théories, avait été ému de pitié à la vue des misères de ses compatriotes attachés au sol ingrat du pays natal. Ayant conçu la généreuse idée de leur venir en aide, en même temps que de se créer un petit fief dans les plaines du Nouveau-Monde, ses regards s’étaient arrêtés sur les vallées de la Rivière-Rouge et de l’Assiniboine, où il avait acheté une immense étendue de terres de la Compagnie de la Baie d’Hudson pour y établir ses colons. J’ai nommé le noble lord Selkirk, fondateur de ce qu’on appela la colonie d’Assiniboia. En même temps, pour consolider son œuvre et la protéger contre l’éventualité de toute malveillance d’ordre local, il avait réussi à se procurer lui-même et à faire acquérir par ses amis une quantité d’actions dans la compagnie, suffisante pour lui assurer une part prépondérante dans la direction de ses affaires.

Cette mesure, suggérée entièrement par des considérations de prudence, lui attira pourtant l’inimitié de la Compagnie du Nord-Ouest, qui dès lors ne voulut voir dans les colons que des émissaires de ses ennemis[1]. Aussi, quand ils arrivèrent aux « Fourches », comme on disait alors[2], furent-ils reçus par une troupe de métis

  1. Ross Cox, écrivant peu après les événements que nous allons raconter, donne de cette inimitié une autre raison qui paraît valable, à savoir que ce pays étant la source principale d’où la Compagnie tirait son pemmican, la colonisation était un coup mortel pour l’approvisionnement de ses forts (Adventures on the Columbia Hiver, p. 204. New York, 1832).
  2. C’est-à dire au confluent des rivières Rouge et Assiniboine.