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Quoi qu’il en soit, il n’y a pas de doute que la grande majorité de ceux qui suivaient la vocation de Nemrod à la Rivière-Rouge appartenaient à notre race. Les fruits de la chasse étaient pour eux ce qu’étaient les produits de la ferme pour les colons écossais. Par la chasse on doit surtout entendre ici celle qui avait la venaison pour objet principal, la chasse au buffle, en particulier, dont la viande venait périodiquement ravitailler la colonie, qui ne pouvait pas toujours compter sur les récoltes pour s’alimenter. On connaît ces grandes expéditions d’un temps qui ne reviendra plus, et chacun de mes lecteurs a, par exemple, entendu parler de la légendaire charrette de la Rivière-Rouge qui servait à transporter les dépouilles opimes des plaines du Canada central : inutile d’entrer dans ces détails.

Mais, à côté de cette grande chasse pratiquée par l’immense majorité des métis français, il y avait la recherche des animaux à fourrure, dont la dépouille avait bien aussi son prix. Malheureusement le chasseur ou le colon doué d’aptitudes pour le commerce venait ici se heurter aux murs déjà vénérables, mais encore assez solides, du monopole que réclamait la Compagnie de la Baie d’Hudson en vertu de sa charte. Pendant exactement un siècle et demi, ce privilège était demeuré à l’état de lettre morte, faute de concurrence sérieuse d’abord, et ensuite parce que cette concurrence était devenue trop sérieuse et ses auteurs trop puissants. Mais après l’union des deux compagnies rivales en 1821, la corporation qui résulta de l’amalgame insista avec acharnement sur ce qu’elle croyait ses droits imprescriptibles. Non seulement la Compagnie de la Baie d’Hudson ne permettait à personne de faire le commerce des fourrures sur son territoire, mais elle considérait comme lui appartenant de droit (moyennant de légères compensations dont elle se réservait l’évaluation) toute peau d’animal à poil tenace tué dans le pays ; en sorte que l’usage des pelleteries était à peine connu dans la contrée qui les fournissait. Un métis s’avisait-il d’orner son couvre-chef de la queue d’une martre ou d’un morceau de peau de castor ? Les agents de la compagnie ne se faisaient pas faute de l’en déposséder. Un Indien osait-il se couvrir d’une peau de renard ? Il violait le monopole de la riche corporation, et on assure qu’en certains cas des ministres protestants furent priés d’en dissuader leurs ouailles sous peine d’encourir la colère de Dieu.

Certains Canadiens et métis français semblaient pourtant moins redouter la vengeance divine à cette occasion que les verrous de