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droits de la population blanche ou métisse et de ses inclinations politiques. De fait, les hommes d’État d’Angleterre semblent l’avoir crue une quantité absolument négligeable, et les représentants canadiens n’en dirent mot. Dans une lettre datée du 10 avril 1869, lord Granville parle explicitement des « tribus indiennes qui forment la population actuelle de cette partie de l’Amérique[1] », et exprime l’espoir que leurs droits ne seront pas méconnus ! Quant à ceux des habitants de notre race, en tout ou en partie, qui seuls donnent au pays sa valeur économique et sociale, personne ne s’en préoccupe.

Aussi, la classe dirigeante de l’Assiniboia s’inquiétait-elle à bon droit du sort qui semblait réservé à la petite colonie, d’autant plus que les représentants que le Canada lui avait jusque-là envoyés dans la personne de John-Christian Schultz, Walter-Robert Bown[2], Charles Mair et autres, ne tenaient pas vis-à-vis des autorités locales et de ses anciens habitants une conduite propre à rassurer les esprits bien pensants et ennemis des innovations dangereuses.

C’est à cette inquiétude bien légitime que faisait allusion Mgr Taché quand il écrivait dans son Esquisse sur le Nord-Ouest de l’Amérique :

Dans la colonie elle-même il règne une certaine agitation et inquiétude au sujet de son avenir. Les uns, en très petit nombre, qui espèrent gagner par un changement quelconque, le demandent à grands cris ; d’autres, considérant plus les systèmes que leur application, voudraient pouvoir tenter un changement, ne se doutant pas qu’on ne revient plus à l’état primitif d’où ils veulent s’écarter ; le plus grand nombre, la majorité, redoute ce changement. Plusieurs ont bien raison : le public pourra gagner à ces modifications, il acquerra sans doute des avantages qui lui manquent, mais la population actuelle y perdra certainement[3].

Ces modifications, encore à l’étude à Londres et à Ottawa, étaient grosses de dangers dont personne ne semblait se rendre compte dans les sphères gouvernementales. En raison de peu de

  1. Ibid., p. 14.
  2. Que l’abbé G. Dugas appelle le Dr Bunn dans son Histoire véridique des faits qui ont préparé le mouvement des Métis, pp. 18-19. Le lecteur ne doit pas confondre ce M. Bown, qui était alors le propriétaire-éditeur du journal de la colonie, un intrigant sans conscience et l’ennemi juré de la Cie de la Baie d’Hudson, avec un M. Bunn (Thomas) qui joua un rôle honorable dans les troubles qui devaient suivre.
  3. Seconde édition, page 54. Montréal, 1901.