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En d’autres termes, on se proposait de déposséder les habitants de race française en faveur des Anglais qu’on allait faire venir d’Ontario, chaque fois que les terres des premiers paraîtraient valoir la peine d’être accaparées. De fait, si l’on en croit cet auteur, la plupart de ces gens qui faisaient parade de leur loyalisme à la couronne britannique en général et aux institutions canadiennes en particulier, « ne représentaient en réalité que leurs propres bourses, et leurs cris en faveur de l’annexion du pays par le Canada n’avaient pas d’autre but que la gratification de leurs propres fins égoïstes »[1].

En prévision de cette curée, on envoya des arpenteurs, sous la direction d’un nommé John-Stoughton Dennis, qui commencèrent à tirer leurs lignes sans se préoccuper aucunement des droits des propriétaires, presque tous métis français. On se cachait si peu des intentions réelles du parti canadien que Wm McDougall, celui-là même qui allait bientôt être nommé gouverneur des nouveaux territoires, écrivait à son ami Ch. Mair : « Aussitôt les arpentages finis, nous vous enverrons une émigration de la bonne espèce. » Ce que ce dernier terme signifiait sous la plume de McDougall n’était alors que trop clair pour les possesseurs du sol de la Rivière-Rouge.

Du reste, les employés du nouveau chemin et leurs confédérés du parti canadien ne se gênaient pas pour le dire. Ils semaient partout les bruits les plus alarmants. Les métis devaient bientôt, disaient-ils, céder le pas aux représentants de la « race supérieure. « Ils seraient contraints de se retirer devant le flot envahisseur, ou bien de se faire les humbles serviteurs de leurs nouveaux maîtres, les charretiers des émigrants qui n’allaient pas tarder à venir d’Ontario et s’établir sur les terres qu’on arpentait pour eux, sans aucun respect pour les droits de propriété de la population métisse.

Si l’on se rappelle que le Canada n’avait pas alors l’ombre d’un titre valide même aux terrains incultes de ce pays, on peut se faire une idée de l’impression que produisirent ses empiètements sur des terres cultivées par une foule de particuliers longtemps avant qu’il eût été question d’établir une confédération des provinces de l’est ou de l’ouest. Alors même que le changement de gouvernement proposé eût été effectué — ce qui, par prudence, n’aurait pas dû se faire sans une consultation quel-

  1. Ibid., p. 25.