Page:Morice - Aux sources de l'histoire manitobaine, 1907.pdf/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 71 —

sident, » quand ils ne lui décochent point les épithètes de « rebelle, » « chef des rebelles, » ou même « archi-rebelle.» Ils ne peuvent parler du gouvernement provisoire sans user de guillemets, par manière de protestation contre l’expression. À leurs yeux les métis étaient des traîtres, des conspirateurs, des émeutiers, des faiseurs de complots, etc.[1].

Un auteur dont les ouvrages ont joui d’une certaine vogue, le général sir W.-F. Butler, auteur du Great Lone Land, s’abaisse même dans ce volume jusqu’à déverser le ridicule sur Riel (qu’il appelle charitablement un ogre, un Napoléon au petit pied), et pourquoi ? Parce qu’il était coupable de porter des mocassins ! On ne le croirait pas si ce n’était écrit en toutes lettres. Oyez plutôt. « Il était vêtu d’un habit composé de parties singulière­ment disparates, » dit cet écrivain : « une redingote noire, un gilet noir et des pantalons de même couleur. Mais l’effet de ce costume quelque peu clérical n’était pas mal gâté par une paire de mocassins indiens »[2]. Et il se met à déblatérer contre ces malencontreux mocassins. Puis il est assez petit pour se moquer du chef des métis qui « joue le rôle du grand soldat de l’Europe sous l’habit d’un prêtre et avec les souliers d’un sauvage »[3].

Il va sans dire que Riel n’aspira jamais à passer pour un génie militaire. Quant à la légalité de ses actes, cette question fera l’objet d’un article à part. Sous une plume aussi prévenue que celle du général Butler, le portrait suivant du jeune tribun est assez piquant. Riel lui parut

… un homme gros et de petite taille[4], avec une tête d’une grande capacité, une figure pâle et bouffie, un œil vif, remuant et dénotant l’intelligence, un front massif et carré, ombragé d’une longue chevelure divisée en mèches épaisses, et coupé de sourcils bien taillés ; bref, une figure d’autant plus remarquable dans son ensemble qu’elle apparaissait dans un pays où pareille chose est une rareté[5].

Pour en revenir à son œuvre, je me suis toujours demandé comment un jeune métis de 25 ans, sans éducation politique ou

  1. Tous ces différents titres, et plusieurs autres du même genre, leur sont prodigués par les auteurs anglais dont j’ai en ce moment les ouvrages sous les yeux.
  2. Op. cit., p. 133, 15e édition.
  3. Ibid., p. 135-13.
  4. Riel était d’assez grande taille et sans corpulence alors que son frère Joseph a bien 6 pieds de haut, avec un superbe physique.
  5. Op. cit., p. 133.