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octobre 1874 le M. Bannatyne dont nous avons déjà parlé, et qui, ne l’oublions point, avait fait l’expérience des prisons de Riel avant qu’il fût arrivé à le comprendre.

Nous n’avions aucune loi [c’est-à-dire aucune autorité], dit-il ; la seule loi existante avait été balayée par McDougall. Notre gouvernement fut établi pour empêcher les luttes et prévenir l’anarchie pendant que des arrangements pourraient être faits entre le Canada et l’Angleterre… Quand la New Nation commença à paraître, elle avait des tendances tout à fait américaines. J’entendis Riel déclarer qu’il ne travaillerait jamais à l’annexion aux États-Unis… Je vis M. Coldwell, qui était du journal, et lui fis remarquer que M. Riel m’avait dit que le numéro suivant serait plus fort que le précédent, mais que ce serait le dernier. M. Coldwell répondit que s’il pouvait faire cela, il était un homme plus capable qu’il ne le croyait. Tout de suite après, le rédacteur fut mis de côté et un autre le remplaça, en même temps que le ton du journal était changé. Riel dit qu’il consentait à être aidé par tous les partis ; mais qu’aussitôt qu’il serait assez fort, il répudierait l’élément américain… Je sais que Stutzman [un américain porté au prosélytisme] descendit de Pembina vers ce temps-là, et qu’il fut peu après chassé par Riel[1].



Il serait donc maintenant souverainement injuste de révoquer en doute la loyauté de Riel. Mais alors pourquoi établir un gouvernement à la Rivière-Rouge quand il y en avait déjà un, celui de M. McTavish ? Parce que la population avait des droits d’importance majeure à faire prévaloir dans une circonstance critique, droits que l’ancienne administration se déclarait impuissante à faire respecter : 1o à cause de sa faiblesse connue de tous, n’ayant qu’une autorité nominale sans moyen de la faire triompher ; 2o parce que ce gouvernement étant la créature de la corporation qui avait trahi le pays en le vendant à l’insu de ses habitants, son chef, McTavish, crut que la transaction le mettait dans l’impossibilité morale de s’affirmer quand même il en aurait eu les moyens ; 3o parce que la proclamation de McDougall lui enleva de fait tous les pouvoirs dont il pouvait être nanti en droit ; enfin, 4o parce que McTavish finit par se déclarer publiquement dépouillé de toute autorité, et reconnut lui-même le gouvernement de Riel, comme il l’avait du reste déjà fait en particulier.

Naturellement, un mal extraordinaire ne se guérit point par des remèdes ordinaires, et toute crise appelle des mesures dont

  1. Preliminary Investigation and Trial of Ambroise-D. Lépine, p. 73. Winnipeg, 1874.