Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/116

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grandeur nous nous avouons que nous sommes bien petits. — Racine évoque devant nous un peuple d’âmes illustres et malheureuses, bouleversées, déchirées par la Passion, saignantes et plaintives et qui n’empruntent à leur noblesse qu’un surcroît de douleur : à suivre du regard ces ombres mélancoliques où se reflètent les pires moments de notre destinée, ces âmes nobles qu’une irrésistible et cruelle puissance victime et déprave, nous nous avouons que nous sommes bien faibles. — Molière nous tient, peu s’en faut, le même langage, mais il est plus impitoyable encore : il nous déclare que notre petitesse est risible, que notre faiblesse est honteuse. Corneille avec ses grandeurs impossibles, Racine avec ses misères fatales ne faisaient que nous désespérer : Molière nous dégoûte de nous-mêmes. — Cependant, La Rochefoucauld est descendu par un autre chemin au fond de cette même pauvre âme humaine et nous déclare qu’il n’y a rien, rien que le Mal, que sous la beauté même de ces héroïsmes où nous conviaient Horace, Cinna, Rodogune, Le Cid, se cache un monstre que fait de ces fantômes de courage, de dévouement, de clémence des spectres d’ignominie, et il le nomme : c’est l’Amour-Propre. La Bruyère serait plus indulgent et peut-être voudrait-il nous amuser, mais il nous attriste encore avec cette comédie de nos manies, de nos défaillances, des mille torts de nos habitudes et de nos