Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/14

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Dieu d’être exceptionnelle) et c’est une légion de Prudhommes féroces avec ce seul mot pour tout idéal et pour tout évangile : médiocrité. Produit fatal de la « diffusion des lumières », — cette énorme plaisanterie, cette monstrueuse extase moderne ! Encore faut-il nous féliciter si la dispersion des lumières a seulement enténébré l’horizon du monde : elle eût dû l’incendier. Mais il y a confusion : la lumière diffuse n’est pas la clarté, la clarté ne se laisse pas disperser ; on peut le refléter et le réfracter, on ne donne pas de double au soleil.

Comme ils savaient son instinct contraire à leurs tendances, les esprits d’exception se sont écartés pour laisser le champ libre à la cohue triomphante. Ils restent étrangers à toute active manifestation sociale, ils n’ont plus guère de goût qu’aux spéculations des sciences, des philosophies, des arts et des littératures. Est-ce bien la peine, en effet, de donner du temps à s’efforcer de diriger la cohue ? Est-elle dirigeable, la démocratie ? Pour combien d’années encore en a cette société ? — Il semble qu’en eux, prenant conscience de soi, le siècle hésite entre la crainte d’être au couchant du monde et l’espoir d’être à l’aurore d’un monde

En tout cas, depuis qu’à la Foule a succédé le Public, — aristocratie de la cohue, ramas de gens qui s’ingèrent de penser pour leur propre compte et, sans que ce soit leur destinée, de décider de tout, ayant sur tout des notions nécessairement