Page:Morice - La Littérature de tout à l’heure, 1889.djvu/214

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lentes, sont toutes spirituelles aussi. Ses passions dépassent l’humanité. Ses êtres grotesques sont des démons, ses êtres beaux sont des anges. Et, comme l’humanité, il dépasse la vie, soit par l’exaspération même de la sensibilité, soit par la mort, au delà de laquelle il connaît une vie ardente et mystérieuse. Donnons-lui sa vraie grandeur : il est le Poëte de l’Amour dans la Peur, de l’Amour dans la Folie et de l’Amour dans la Mort. Aussi, ses créations gardent ce caractère singulier, — qu’il recommande expressément comme une des lois du Beau, — et qui leur est naturel dans leur atmosphère d’exception. L’Exception ! voilà peut-être le plus significatif trait d’E. Poe, sa plus féconde vue en art. Dans l’exception seule, en effet, pourront les nouveaux Poètes réaliser les grands rêves d’aristocratie savante et de pureté belle. Et ces exceptionnelles et singulières figures, Ligéïa, Morella, et les deux pâles habitants de la Maison Usher, quelle frénésie de passion bat dans « leurs poitrines inertes d’anges[1] » ! Cette frénésie, celle-même du Poëte ! Mais elle n’endort jamais sa conscience et dans les plus compliquées combinaisons d’horreurs ou de folies, de peur, il garde la lucidité imperturbable du Maître qui a discipliné le Hasard. À la Mort et à l’Horreur il donne volontiers un cadre fastueux qui n’est pas un caprice, où sourd l’ironique vie des choses, où la splendeur

  1. L’expression est de M. J.-K. Huysmans.