Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/171

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tendre le bon moment. Combien étaient partis, qui s’étaient cassé les reins, faute de ressources suffisantes, et qu’on avait vus revenir au pays, bien contents de manger la soupe, et de bêcher les vignes, comme les camarades.

Puis il voyait Marthe, allongée dans son lit, toute fluette, toute blanche dans la pâleur de l’oreiller. Il s’attendrissait. Et en même temps, il ressentait presque au paroxysme ce trouble profond, cruel, voluptueux, qui unit l’amour et la mort.

La lune éclatante, au milieu du ciel, versait sur les champs son assoupissement mystérieux. Il faisait clair comme en plein jour. Les brouillards se dissipaient, repliés mollement sur le flanc du val. Et Pierre sentait que toute cette clarté inondait son âme, et il voyait nettement la route tracée devant lui.

Il se leva, sa résolution étant prise.

Il s’avança dans la prairie mouillée. Il se baissait par moments, et son ombre s’allongeait, coulait sur les molles graminées…

Marthe, qui s’était réveillée assez tard le lendemain, trouva un gros bouquet, posé à l’angle de la fenêtre.

Toute une moisson de fleurs qu’on avait cueillie cette nuit-là, dans les jardins et dans la prairie : des renoncules, des narcisses, des scabieuses de velours pâle, des reines des prés dont les graines tremblantes étaient encore embrumées d’une fine poussière d’eau. Au centre s’épanouissait une rose énorme, largement ouverte, versant de son cœur pourpré où dormaient des scarabées, une odeur suave, troublante, une odeur d’amour.

Celui qui l’avait apportée là avait risqué de se casser