Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/168

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Une pitié l’envahissait.

Il revoyait ce vieux qui venait de le supplier. Il entendait ses dernières paroles ! « Pierre, tu te fais plus méchant que tu n’es. » Peut-être que le vieux avait dit vrai. Devant lui revivait la face tragique, à qui la douleur et la supplication donnaient une sorte de grandeur émouvante. Il avait beau faire effort, il n’arrivait pas à chasser ce souvenir, et toujours se plaçaient devant ses yeux ce visage lamentable, ce front dénudé, ces mèches de cheveux blancs, que le vent fouettait et que la pluie plaquait, sur les tempes du vieillard.

Fallait tout de même qu’on ait rudement souffert, pour en venir là : supplier un autre homme !

Puis il se mit à s’inspecter scrupuleusement, à fouiller dans les replis de son âme, à sonder les motifs qui lui avaient dicté sa conduite.

Comme tout s’éclairait. On eût dit qu’une déchirure soudaine se faisait dans un voile, et un jour aveuglant y pénétrait. Au fond, il aimait cette petite fille, et il était décidé à en venir à ses fins, à se marier avec elle, et tout se serait passé de la façon la plus ordinaire, si elle ne s’était pas avisée de le mater, de lui faire des réprimandes, comme à un enfant. Alors, il avait regimbé, non par malice, mais par entêtement, par orgueil, cédant à une impulsion irréfléchie. Depuis qu’il se connaissait, il avait de ces mouvements qui le surprenaient, à la réflexion, et qui pourtant étaient irrésistibles. Tout enfant, il avait jeté dans un puits un petit couteau auquel il tenait, parce que sa mère le lui avait défendu.

C’était plus fort que lui. Jamais mieux qu’à ces moments-là il ne s’était senti double, composé de deux