Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/183

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long des jours, ils se regardaient avec un sourire, le sourire des gens heureux, qui semble rayonner sur les choses.

Ce soir-là, on pêchait sur la Moselle. Le vieux Dominique ramait, assis à sa place coutumière. Pierre, de temps à autre, relevait le large échiquier d’un vigoureux tour de reins. Marthe suivait tous ses gestes avec tendresse et inquiétude.

Le fond de la barque était empli d’une masse grouillante d’ablettes, où couraient des reflets de nacre.

C’était la fin d’une journée chaude. Incendiées par le soleil couchant, de larges nuées descendaient à la surface des eaux, se traînaient en longues flammes, en lambeaux de pourpre, en ruissellements d’or entre lesquels s’ouvraient des pans de ciel profond. On faisait la fenaison, et l’on entendait de toute part, sur les rives, le bruit aigu et sifflant que font les pierres à aiguiser, promenées sur l’acier des faux.

Pierre dit :

— Père, on pourrait peut-être aller jeter un coup dans les « mortes. »

Le vieux Dominique maugréa. Il se faisait tard et on avait tout juste le temps de rentrer. Et puis, pour ce qu’on prendrait dans ces « mortes » !

Marthe insista ; elle avait grande envie de voir ces eaux profondes, qu’elle avait seulement côtoyées, sans pouvoir en approcher, à cause des roseaux dont les bords sont obstrués.

Le vieux donna quelques coups d’aviron et la barque, ayant viré doucement, fila sur les eaux brillantes. Il fallut se pencher pour passer sous un pont de bois jeté en travers du chemin de halage. Des