Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/263

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

La vieille intervint de sa voix aigre, où elle s’efforçait, mais vainement, de mettre en l’honneur de Pierre des inflexions de tendresse.

— Te v’là content, mon pauv’ vieux. Et la fille aussi ! Ça ne pouvait pas durer, vu qu’t’étais devenu trop cassé, pour le service du bateau. Ça m’faisait gros cœur de voir la Reine des eaux, pas soignée comme il fallait.

Elle insistait sur la déchéance physique du vieux, soulignait les tares de la sénilité, avec une crudité de termes, comme font les gens du peuple, pour qui la délicatesse des sentiments est un luxe inutile.

Puis elle descendit dans la cuisine du bateau, et elle remonta une vieille bouteille d’eau-de-vie de marc. On choqua les verres et tout le monde but avec recueillement, comme pour sceller un contrat et fonder une alliance.

Le vieux marinier retourna le verre vide sur sa main, pour recueillir les dernières gouttes, puis il se frotta les paumes avec un air de satisfaction :

— Ça conserve le corps, dit-il, et ça fait vivre longtemps.

Puis les deux vieux allèrent se coucher, et l’on entendit bientôt leur ronflement sonore, qui traversait les cloisons, et le bateau oscillait lentement, comme gagné, lui aussi, par ces bruits de sommeil.

Enlacés à l’avant, Thérèse et Pierre échangeaient des tendresses. Elle le sentait encore effaré par cette détermination soudaine, et pour le calmer, redoublait d’attentions. Ils regardaient sans la voir la fuite des eaux, glissant au fond des ténèbres. Sur le bateau, sur la prairie, sur la rivière, quelque chose planait de