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Elle était toujours là, comme si elle avait voulu se montrer aux deux pêcheurs, promener à travers leur vie son onde égale et monotone.

Pierre haussait les épaules, visiblement ennuyé.

Le vieux se remit à bêcher la terre, marmottant des choses à part lui, secouant la tête d’un air triste.

Ce n’était pas un mauvais garçon, ce Pierre ; seulement sa mère l’avait gâté, en lui répétant sans cesse qu’il était beau, qu’il était fort, que les filles seraient trop contentes de l’avoir. Une confiance, un sentiment de supériorité sortait de ses yeux, s’exhalait de sa personne, de ses gestes, de ses silences.

Il portait beau. Il avait une façon de toiser le monde qui déplaisait au premier abord, mais on s’y habituait, et on était séduit par un certain air d’honnêteté qui tenait de la race.

Le service militaire aussi l’avait perverti, l’initiant à une mollesse d’existence, qu’il n’avait pas connue auparavant. On était bien nourri et on ne travaillait pas. C’est un dicton des paysans dont la vie est si dure, qu’on devient « feignant » à faire des métiers pareils. Et le séjour dans une grande ville de l’Est lui avait révélé le goût des distractions, les habitudes d’oisiveté, les stations dans les cafés, toute une vie molle dont la nostalgie lui gonflait le cœur.

Ses succès auprès des femmes ne se comptaient plus. Elles tournaient autour de lui, affolées par sa mine robuste, par ses airs farauds et conquérants. Les besognes pénibles de la terre n’ayant pas déformé son