Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/51

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On eût dit qu’une ruée d’êtres invisibles se déchaînait là-haut, dans le noir. La respiration géante balayait les frêles existences d’hommes, accrochées au flanc du coteau. Eux ne sentaient rien, n’entendaient rien, enivrés de cette aube d’amour. Leurs vies devenaient de petites choses, confiantes, délicieusement bercées par le chaos des éléments déchaînés, par la clameur furieuse qui tourbillonnait dans le val.

Ils partirent le dimanche matin, comme c’était convenu.

Il avait dû geler fort, la nuit précédente. Les toits des maisons, les brancards des chariots, la paille des fumiers saupoudrés de givre fin miroitaient doucement dans le jour. Un soleil rouge s’éborgnait aux cerisiers de la côte, dont les branches glacées ressemblaient à de grands lustres de cristal.

Mais l’astre eut le dessus, il fondit la carapace de verglas qui emprisonnait les choses, et la campagne apparut, déroulant ses ondulations monotones sous le soleil.

Ils traversèrent la Moselle dans la vieille barque et s’engagèrent dans la vallée étroite qui conduit à Bicqueley.

Des brumes tournoyaient comme des fumées à la surface du Bouvade, montrant la place où des sources qui ne gèlent jamais se déversent dans son lit. Les colchiques d’automne jetaient une lueur violette dans les fonds humides des prés. Par place une charrue abandonnée à l’extrémité d’un champ, avait un air de