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Le vieux insistait, lui parlait de sa mère, la Marie-Anne, une si brave femme, et des recommandations qu’elle avait faites à son lit de mort. Il s’attendrissait et s’interrompait de temps à autre pour essuyer une larme, qui coulait au bout de son nez.

Puis il passait en revue les filles du village,

— C’est-y la Pauline qui te conviendrait ? » La Virginie Mathieu, non plus, n’était pas à dédaigner. Il n’avait qu’à se décider et à choisir.

Et il ajoutait en manière de conclusion :

— Faut pas trop traîner pour arranger la chose, mon fi. J’ai pu guère de temps à vivre : on s’imagine pas ça à ton âge, mais les vieux le sentent bien. Les forces n’y sont pu. J’voudrais voir mes petits-enfants, avant qu’on me descende dans le trou.

Pierre ne répondait pas, ou bien quand le vieux le pressait, il avait une façon de secouer la tête, d’un air évasif.

Il regardait attentivement les chalands qui remontaient la rivière. Ils se suivaient, nombreux, ce jour-là, ayant été arrêtés par les glaces. Les uns, vides, dressaient leur masse surélevée et semblaient voler sur les eaux, pareils à des tours. Les autres, lourdement chargés de charbon ou de gueuses de fonte, s’enfonçaient si profondément que le flot rasait leur bordage. Ils portaient à leur arrière une planche où des noms étaient inscrits : le Zouave, le Kléber, ou l’Hirondelle des eaux. Peints de couleurs vives, de minium ou de vert éclatant, leurs coques massives, leurs bordages évasés mettaient dans le sillage du flot un reflet lumineux, dont la nappe était égayée. Chacun d’eux portait une petite maison blanche, avec des fenêtres, des volets