Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/81

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de conversation, tourmentée par un besoin de confidences, éprouvant une secrète satisfaction à raviver sa blessure, à la faire saigner encore.

Compatissante, la vieille l’écoutait avec une attention inlassable, demandant des détails et des explications. C’était une brouille qui ne durerait pas. Ils étaient jeunes et avaient du temps devant eux. Elle trouvait pour la consoler des phrases toutes faites, des aphorismes sentencieux dont la conversation des vieilles gens s’embarrasse volontiers à la campagne, et la banalité de ces propos était douce à la jeune fille, endormant sa souffrance à la façon d’un chantonnement berceur.

Parfois une petite vieille passait devant la fenêtre de Dorothée, menue, trottinante, glissant sans bruit le long des murs, comme une souris épeurée. On l’appelait dans le village la petite Célestine : son teint avait des tons de vieil ivoire, une infinité de petites rides plissaient ses lèvres, ses joues et son front. Mise avec une propreté exquise, tout dans sa physionomie était d’une éclatante blancheur ; les plis finement tuyautés de son bonnet mettaient leur froideur autour de son visage de cire, dont la pâleur évoquait l’hostie consacrée, qu’on expose dans le Saint-Sacrement de l’autel.

Elle ne parlait pas, elle n’avait ni parents ni amis. Personne ne faisait attention à elle. Un bruit un peu violent de la rue, le claquement d’un fouet ou l’aboiement d’un chien, lui causaient un tressaillement de tout le corps. Alors elle ouvrait ses yeux, dont les paupières étaient presque closes par une pesanteur invincible, et jetant un regard effaré, elle avait l’air de chercher un trou pour rentrer sous la terre.