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quérir encore davantage, que tu les aies actuellement à n’importe quel degré.

— Tu es bien aimable. Tout ça, ça n’empêche pas que nous n’avons plus que vingt jours avant la licence. Ça va passer vite. Ensuite, au commencement de janvier, l’examen du Barreau ; et puis, nous serons des avocats.

Ou des bloqués, dit Ricard.

— Ce n’est pas probable, pour toi du moins. Quant à moi, j’ai assez confiance, aussi.

— C’est la confiance qui remporte les victoires.

— Puisses-tu prédire vrai.

Édouard reconduisit son ami et s’en revint, seul.

Il était trop tard pour travailler, quand il arriva à sa chambre ; pourtant, il ne s’endormait pas du tout.

Il s’assit donc et se mit à songer. Ses trois années d’université avaient passé bien rapidement, encore plus, relativement, que les dix années de collège. Il y avait treize ans qu’il se préparait à la vie ; et il allait y entrer. Il se rappelait ses longues études, ses succès et ses prix ; il se rappelait les amitiés et les intimités qui avaient pris naissance et qui s’étaient dénouées pendant ce temps. Il se rappelait ses révoltes d’écolier, contre la règle et la discipline ; ses velléités d’indépendance le plaisir qu’il avait eu à tout sacrifier cela à ses parents ; et, à cette heure, il se félicitait d’avoir été patient et courageux. Puis il songeait aux vacances heureuses, au dévouement et à l’amour de ses parents ; à l’amitié de ses frères et de ses sœurs ; et il souhaitait que, cette étape franchie, il retrouvât encore dans sa vie autant de bonheur et autant de bonnes et de douces joies.

Ces pensées du foyer et de la famille lui donnèrent envie d’écrire à ceux qui reposaient paisiblement, là-bas, pendant que lui songeait à eux.

Il prit la plume et se mit à écrire à Marie-Louise.

Il lui fit, d’abord, quelques phrases d’amitié, où il épancha son cœur un peu esseulé, puis il lui raconta le banquet et il le fit d’une manière charmante, lui disant qu’il ne manquait qu’une chose pour que ce fût parfait : sa présence. — Sa présence à elle, la petite Marie-Louise, qui ne veillait jamais plus tard que dix heures,… il voulait rire…

Sa lettre cachetée, il alluma une cigarette et, écartant sa chaise de la table à écrire, les jambes croisées, et la tête en arrière, il fuma lentement, soufflant très haut la fumée.

Il se sentait seul, ce soir-là ; sans qu’il sût quoi, il lui manquait quelque chose.

De vagues bouffées de tendresse lui montaient au cœur et il vint les yeux pleins d’eau.

Qu’avait-il donc ?

Il était jeune et fort, et ses vingt-cinq ans appelaient l’amour.

Jamais Édouard n’avait, comme on dit, été en amour. Chez lui, à Saint-Germain, il avait connu quelques jeunes filles, pour lesquelles il conservait de l’amitié et qu’il traitait presque en camarades, quand il les rencontrait. En ville, il avait peu sorti et il était presque toujours allé dans les mêmes familles ; on l’avait bien accueilli et on avait été très aimable pour lui, mais il n’avait rien vu au-delà.

Et maintenant, il était amoureux — sans savoir de qui.

Les livres, l’étude et la famille ne suffisent donc pas à tout ? — mais il ne fit pas cette découverte, ce soir-là : il fut mécontent de ne pas se sentir lui-même : et, se secouant comme un jeune lion, il chassa tout cela loin de lui.

Il devait cependant succomber aux coups de l’amour ; et plus tôt qu’il ne le prévoyait.