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cence. En attendant, il s’amusait, jouant aux cartes, fréquentant les théâtres, buvant un peu d’alcool et fumant beaucoup, menant une vie de nature à l’amollir et à le rendre absolument impropre au grand effort qu’il se proposait de faire, à la fin, pour rattraper le temps perdu.

Un mois s’était écoulé depuis l’ouverture des cours. Louis et Arthur avaient, au cours de ce mois, rencontré le docteur Ducondu, qui les avait courtoisement invités à venir chez lui. Tous deux songèrent à ces rencontres, un dimanche matin, comme ils revenaient de Notre-Dame-de-Lourdes, où ils avaient assisté à la messe des étudiants.

« Je vais faire des visites, cet après-midi, » déclara Arthur, qui sortait beaucoup plus dans le monde que Louis, à cause des nombreux loisirs qu’il se donnait. Louis sortait aussi quelque peu, mais il oubliait trop qu’on ne peut réussir dans une profession si on n’a beaucoup d’amis et de relations et il ne songeait pas souvent à cette partie pourtant importante de la préparation de son avenir. Il ne répondit donc pas immédiatement à Arthur, se demandant s’il n’avait pas lui aussi quelqu’un à aller voir. Il pensa tout à coup au docteur Ducondu et à sa fille, qui lui avait fait promettre d’aller la voir, quand il serait de retour à Montréal, — par simple amabilité, du reste, car elle connaissait à peine Louis avant de l’avoir rencontré au pique-nique, à Saint-Augustin.

« Si nous allions ensemble voir mademoiselle Ducondu, » dit Louis : « elle nous avait invités, à Saint-Augustin. »

— Oh ! c’était par politesse, répondit Arthur, qui avait lui aussi pensé à cette visite et qui n’en avait pas parlé, justement pour éviter la suggestion que Louis venait de faire.

Ce n’était pas qu’il tînt particulièrement à être seul dans les bonnes grâces d’Ernestine Ducondu, mais il n’aimait pas à paraître dans le monde avec Louis, auquel il consentait bien à reconnaître la supériorité dans les études, mais qu’il voulait maintenir à un rang social inférieur, faisant par là preuve d’un égoïsme et d’une petitesse d’esprit méprisables. « Je n’irai probablement pas chez mademoiselle Ducondu, » dit-il dédaigneusement ; « je n’aurai pas le temps. »

Louis vit bien que sa proposition déplaisait à son camarade, sans soupçonner pourquoi, et il dit : « j’irai tout seul alors. J’avais trouvé mademoiselle Ducondu aimable et sans prétention aucune ; j’aimerais à la revoir. »

Arthur partit le premier, puis, vers trois heures et demie, Louis se rendit chez Ernestine. Une bonne vint lui ouvrir et le fit entrer. À sa grande surprise, il trouva Arthur en compagnie de mademoiselle Ducondu. Il cacha poliment son étonnement et Arthur lui-même ne laissa pas paraître son mécontentement, il dit seulement à Louis, d’un ton bourru, quand ils sortirent ensemble : « tu y tenais décidément à cette visite. »