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coin. Il fut émerveillé, quand il porta les yeux du côté opposé, de la beauté du quartier où il se trouvait. Il avait devant lui la rue Chateaubriand, bordée des deux côtés de maisonnettes en brique fort jolies, et la rue Beaubien ouvrait une belle perspective. Un couvent occupait le coin opposé des rues Châteaubriand et Beaubien. À cent pieds, plus loin, c’était le joli presbytère en pierre à bosses de la paroisse Saint-Edouard ; à côté, au-dessus d’un groupe de beaux arbres, se dressaient les tours jumelles de l’église, dominant la rue pleine d’ombre.

Le ciel était remarquablement pur, car il n’y avait pas d’usines dans cette partie du quartier Saint-Denis et on n’a que quelques pas à faire pour se trouver en pleine campagne.

« C’est beau ici », dit la mère Beaulieu, exprimant l’opinion que partageait le trio en contemplation à la porte de l’épicerie devant ce qui était pour eux un monde nouveau.

« Je vais aller réveiller Joseph et Henri », dit Marie, qui n’était pas égoïste et qui avait hâte de voir ses frères partager son admiration pour les alentours de l’épicerie.

Elle courut vivement, car elle craignait que quelqu’un n’entrât pendant son absence et elle tenait à aider son père et sa mère à servir le « premier client » qui se présenterait.

Il passait six heures et personne n’était encore venu, mais le nombre des passants augmentait beaucoup. Bientôt ce fut une procession continue et les nouveaux arrivés en restèrent ébahis. « Où va tout ce monde ? » demanda le père Beaulieu. « Miséricorde ! » s’exclama sa femme, « il y en a plus qu’à la grand’messe à Saint-Augustin ! »

Pourtant c’était un jour de semaine et personne ne portait de livre de messe, à l’exception de quelques femmes qui se rendaient à l’église pour la messe de six heures et demie.

Le père Beaulieu n’avait jamais vu tant de monde, excepté aux assemblées politiques. Tous se dirigeaient vers la rue Saint-Denis et le père Beaulieu se rendit bientôt compte, en les voyant s’empiler dans les tramways qui descendaient à la ville que c’étaient des travailleurs qui s’en allaient à leur ouvrage. Il se dit avec plaisir que les affaires devaient être bonnes, dans un quartier où il y avait tant de monde.

Le premier client se présenta enfin, sous la forme d’un enfant qui venait, avec un pot en terre cuite à la main, chercher du lait pour le déjeuner de sa famille. Malheureusement, dans l’excitation du déménagement et de l’installation, le père Beaulieu avait oublié de s’assurer les services d’un laitier et il dut, avec regret, envoyer le petit chez l’épicier voisin. Il fut profondément contrarié. Marie, qui avait vu passer deux ou trois laitiers, arrêta le suivant et on lui commanda immédiatement une certaine quantité de lait pour chaque matin.

Le défilé des piétons continuait toujours, les portes et les fenêtres s’ouvraient et se refermaient, les enfants criaient et couraient dans la rue, le forgeron de la rue Beaubien qui avait son échoppe près de la