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que la convention n’a aucune garantie, puisqu’elle repose uniquement sur le caractère moral et religieux d’Abd-el-Kader, etc., etc.

Après l’échange du traité, le général Bugeaud fit proposer une entrevue à l’émir pour le lendemain. Le rendez-vous était à neuf heures du matin, à trois lieues des bords de la Tafna. Le général y fut à neuf heures, accompagné de six bataillons d’infanterie, de dix escadrons de cavalerie et de quelques pièces de campagne. L’émir n’y vint pas à l’heure convenue. Vers deux heures, des cavaliers arabes annoncèrent qu’il avait été malade et marchait lentement} que si le général s’impatientait, il pouvait pousser en avant. On marche sans défiance plus d’une heure dans le détour d’une gorge étroite, entrecoupée de collines. Enfin le général aperçut l’armée arabe, rangée en bon ordre sur des mamelons épars. La maladie de l’émir était feinte, et le général français avait l’air d’être venu pour lui rendre hommage. Les officiers de l’escorte eurent quelques moments d’hésitation, se croyant dans un guet-apens ; Bou-Amedy, chef de la tribu des Oulanahs, qui marchait au milieu d’eux, s’en aperçut et dit au général Bugeaud : o Sois tranquille, n’aie pas peur. — Je n’ai peur de rien, répondit le général, je suis accoutumé à vous voir en face. Seulement je trouve indécent que ton chef m’ait fait venir de si loin et m’ait fait attendre si longtemps. » L’émir était entouré de 150 à 200 chefs, revêtus de riches costumes et montés sur de magnifiques coursiers. Abd-el-Kader les précédait de quelques pas, guidant un beau cheval noir, merveilleusement dressé ; tantôt il l’enlevait des quatre pieds à la fois, tantôt il le faisait marcher sur les deux pieds dé derrière. Dès qu’il fut à portée de la voix, le général Bugeaud lance son cheval au galop, et arrive sur l’émir en lui tendant cavalièrement la main ; celui-ci la presse fortement et lui demande des nouvelles de sa santé.

« Très bonne, et la tienne ? » répondit le général, qui met pied à terre et engage Abd-el-Kader à en faire autant. Après quelques minutes d’un entretien insignifiant : « As-tu ordonné, dit-il, de rétablir les relations commerciales à Alger et autour de toutes nos villes ?

— Non, je le ferai dès que tu m’auras rendu Tlemcen.

— Je ne puis le faire qu’avec l’approbation de mon roi.

— Combien faut-il de temps pour avoir cette approbation ?

— Il faut trois semaines.

— C’est trop long, interrompit Ben-Arrach, lieutenant de l’émir, qui s’était approché : dix à quinze jours suffisent.

— Est-ce que tu commandes à la mer ? répliqua Bugeaud.

— Nous attendrons jusqu’à ce jour, dit l’émir.

— Tu ne fais tort qu’aux tiens, répliqua Bugeaud, en les privant du commerce dont ils ont besoin. Quant à nous, nous pouvons nous en passer, puisque nous recevons par la mer tout ce qui nous est nécessaire. »

Le général, ne voulant pas prolonger cet entretien plus longtemps, s’éleva brusquement : Abd-el-Kader restait toujours assis, et mettait une espèce d’affectation à échanger quelques paroles avec M. Bugeaud qui était debout devant lui ; mais ce dernier s’apercevant de l’intention, prit vivement l’émir par la main et l’enleva, en lui disant : « Parbleu ! Lorsqu’un général français se lève, tu peux bien aussi te lever, toi. »

Ainsi se termina cette entrevue qui fut sans résultat, car elle avait été sans but. Abd-el-Kader, après avoir pendant deux ans châtié, avec la plus grande rigueur,