Page:Mullié - Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, I.djvu/122

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avaient repris ses propres conquêtes, que la nation humiliée, mécontente du gouvernement dictatorial, se rappelait avec douleur la paix glorieuse qu’il avait signée à Campo-Formio ; il comprit enfin qu’on avait besoin de lui et qu’il serait bien reçu.

Il ne fit part de son secret qu’à un petit nombre d’amis dont la discrétion et lé dévouement lui étaient bien connus. Un voyage dans le Delta fut le prétexte qu’il mit en avant pour sortir du Caire sans éveiller les soupçons ; les savants Monge, Berthollet, le peintre Denon, les généraux Berthier, Murat, Lannes, Marmont, l’accompagnaient.

Le 23 août 1799, une proclamation apprit à l’armée que le général en chef Bonaparte venait de transmettre ses pouvoirs au général Kléber ; cette nouvelle fut reçue avec quelque mécontentement, mais l’indignation cessa bientôt. Kléber avait fait ses preuves ; il méritait à bon droit toute la confiance des troupes, et puis on était facilement porté à croire que Bonaparte était parti pour lever en France de nouveaux renforts avec lesquels il s’empresserait de retourner en Égypte se remettre à la tête de ses anciens compagnons d’armes.

À la nuit tombante, une frégate vint le prendre silencieusement sur le rivage, trois autres bâtiments formèrent son escorte. On s’est demandé souvent par quel miracle il a pu se faire que, pendant une navigation de quarante-et-un jours, il n’ait pas rencontré un seul vaisseau ennemi qui l’ait contrarié dans sa traversée ; des relations donnent à entendre que par une convention tacite il avait acheté la neutralité des Anglais ; cela n’est guère vraisemblable ; autant vaudrait soutenir qu’il avait fait aussi un pacte avec Nelson pour qu’il le laissât aborder sans obstacle au rivage égyptien avec la flotte qui portait sa nombreuse armée.

Au moment du départ, on lui fit remarquer avec inquiétude qu’une corvette anglaise l’observait : « Bah ! s’écria Bonaparte, nous arriverons, la fortune ne nous a jamais abandonnés, nous arriverons, malgré les Anglais. » La flottille entra le 1er octobre dans le port d’Ajaccio, les vents contraires l’y retinrent jusqu’au 8 qu’elle appareilla pour la France. À la vue des côtes, on vit paraître dix voiles anglaises, le contre-amiral Gantheaume voulait virer de bord vers la Corse : « Non, lui dit Bonaparte, cette manœuvre nous conduirait en Angleterre, et je veux arriver en France. » Cet acte de fermeté et de courage le sauva ; le 8 octobre 1799 (16 vendémiaire an VIII), les frégates mouillent dans la rade de Fréjus. Comme il n’y avait point de malades à bord et que la peste avait cessé en Égypte, six mois avant son départ, il fut permis au général Bonaparte et à sa suite de prendre terre immédiatement. À six heures du soir, il se mit en route pour Paris, accompagné de Berthier, son chef d’état-major.

VII. Retour à Paris. — Situation de la France. — 18 Brumaire.

Le voyage depuis Fréjus jusqu’à la capitale fut un long triomphe : les populations des campagnes se pressaient sur son passage, les villes se portaient à sa rencontre, lui donnaient des fêtes brillantes et le traitaient avec tous les honneurs et tous les égards que l’on n’accorde ordinairement qu’aux souverains. Il ne se méprit pas sur les motifs de ces ovations bien différentes de l’enthousiasme et des applaudissements qui l’avaient accueilli au retour de ses victoires d’Italie. Tout lui annonçait que le public voyait en lui un libérateur, un sauveur, un restaurateur de la gloire de la patrie.