Page:Mullié - Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, I.djvu/132

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Pendant les quatre années de son consulat, Bonaparte avait réuni dans sa personne toutes les forces civiles et militaires de la République : la plupart des fonctionnaires publics étaient ses créatures ; le clergé, par reconnaissance, lui répondait de la fidélité des populations religieuses ; les généraux, naguère ses émules, étaient devenus ses lieutenants. Il était donc le maître absolu des armées de terre et de mer ; l’anarchie, les conspirateurs, étaient comprimés pour toujours. La nation, accoutumée depuis tant de siècles à vivre sous le régime monarchique, considérait le premier Consul comme le digne successeur de ses rois les plus sages et les plus illustres. Sous sa domination, l’ordre et la sécurité régnèrent partout : le crédit se rétablit ; les sciences, les arts et l’industrie furent encouragés ; des jurisconsultes éclairés travaillèrent à la rédaction de nouveaux codes : le système, en un mot, du gouvernement consulaire, considéré d’un certain point de vue, paraît irréprochable.

Le 30 avril 1804, un tribun, Curée, fait une motion dont le but est de confier le gouvernement de la République à un empereur, au premier consul Napoléon Bonaparte, et de rendre cette dignité héréditaire dans sa famille.

« C’est, dit Curée, sanctionner par les siècles les institutions politiques, et assurer à jamais les grands résultats qu’elles ont laissés après elles… Les ennemis de notre patrie se sont effrayés de sa prospérité comme de sa gloire ; leurs trames se sont multipliées, et l’on eût dit qu’au lieu d’une nation tout entière, ils n’avaient plus à combattre qu’un homme seul. C’est lui qu’ils ont voulu frapper pour la détruire… Avec lui, le peuple français sera assuré de conserver sa dignité… Il ne nous est plus permis de marcher lentement ; le temps se hâte ; le siècle de Bonaparte est à sa quatrième année, et la nation veut un chef aussi illustre que sa destinée… »

Le tribunat adopte, presqu’à l’unanimité, la proposition de conférer l’empire à Bonaparte. Le tribun Carnot est le seul qui ose s’opposer ouvertement à la motion de Curée.

« … Je votai dans le temps, dit-il, contre le consulat à vie ; je voterai de même contre le rétablissement de la monarchie en France… J’observerai d’abord que le gouvernement d’un seul n’est rien moins qu’un gage de stabilité et de tranquillité… Du moment qu’une nation entière épouse les intérêts particuliers d’une famille, elle est obligée d’intervenir dans une multitude d’événements qui, sans cela, lui seraient de la plus-parfaite indifférence… Après la paix d’Amiens, Bonaparte a pu choisir entre le système républicain et le système monarchique ; il eût fait tout ce qu’il eût voulu… Le dépôt de la liberté lui était confié, il avait juré de la défendre… Il se fût couvert d’une gloire incomparable… Aujourd’hui, on propose de lui faire une propriété absolue et héréditaire d’un pouvoir dont il n’avait reçu que l’administration… Une dictature momentanée est quelquefois nécessaire pour sauver la liberté… mais parce qu’un remède violent a sauvé un malade, doit-on lui administrer tous les jours un remède violent ?… Il est moins difficile de former une république sans anarchie qu’une monarchie sans despotisme… On a parlé d’institution… serait-ce d’une nouvelle noblesse ? Mais le remède n’est-il, pas pire que le mal ? Car le pouvoir absolu n’ôte que la liberté, au lieu que l’institution des corps privilégiés ôte tout à la fois et la liberté et l’égalité. Et quand-même, dans les premiers temps, les grandes dignités ne seraient que personnelles, on sait assez qu’elles finiraient toujours comme les