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en s’engageant à obtenir qu’il soit garanti par la France.

Le 20 avril, Napoléon n’ayant plus l’espérance qu’on lui avait donnée de revoir sa femme et son fils, se décida à quitter Fontainebleau, pour aller prendre possession de sa souveraineté de l’île d’Elbe. Sa garde, encore sous les armes, se tenait dans la cour du palais, rangée comme pour la parade. Napoléon, à la vue de ces glorieux restes de tant de batailles et de victoire dont il croit se séparer pour toujours, ne peut retenir ses larmes, et d’une voix brisée comme son âme, il leur parle ainsi :

« Officiers, sous-officiers et soldats de la vieille garde je vous fais mes adieux. Depuis vingt ans que je vous commande, je suis content de vous. Je vous ai toujours trouvé sur le chemin de la gloire. Les puissances alliées ont armé toute l’Europe contre moi, une partie de l’armée a trahi ses devoirs, et la France a cédé à des intérêts particuliers.

« Avec vous et les braves qui me sont restés fidèles j’aurais pu entretenir la guerre civile pendant trois ans ; mais la France eût été malheureuse, ce qui aurait été contraire au but que je me suis sans cesse proposé. Je devais donc sacrifier mon intérêt personnel à son bonheur ; je l’ai fait.

« Mes amis, soyez fidèles à votre nouveau roi, soyez soumis à vos chefs et n’abandonnez pas notre chère patrie. Ne plaignez pas mon sort, je serai toujours heureux lorsque je saurai que vous l’êtes. J’aurais pu mourir, rien ne m’était plus facile ; mais je veux suivre encore le chemin de l’honneur. J’écrirai les grandes choses que nous avons faites.

« Je ne puis vous embrasser tous, mais j’embrasse votre général ; venez, général Petit, que je vous presse sur mon cœur ! Qu’on m’apporte l’aigle, que je l’embrasse aussi ! Ah ! chère aigle, puisse le baiser que je te donne retentir dans la postérité ! Adieu, mes enfants, mes braves, mes vœux vous accompagneront toujours : gardez mon souvenir. Entourez-moi encore une fois ! » Cet adieu, devenu si célèbre, fut déchirant pour le héros non moins que pour les braves compagnons de ses victoires.

Napoléon monta en voiture avec le général Bertrand ; une faible escorte le suivit ; des Commissaires délégués par les coalisés devaient leur servir de protecteurs pendant qu’il traversait la France, un pays qui, moins de trois mois auparavant, le reconnaissait comme son dominateur et son maître.

Napoléon fuit insulté en traversant quelques villes du Midi ; peut-être même y eut-il sérieusement des complots ourdis pour l’assassiner.

Le 28 avril, il s’embarqua à Saint-Rapheau sur une frégate anglaise qui, le 6 mai, le déposa à six heures du soir dans le port de Porto-Ferrajo, où il fut reçu par le général Dalesme, commandant français. Aux compliments qu’il en reçut, l’Empereur répondit :

« Général, j’ai sacrifié mes droits aux intérêts de ma patrie, et je me suis réservé la propriété de la souveraineté de l’île d’Elbe. Faites connaître aux habitants le choix que j’ai fait de leur île pour mon séjour. Dites-leur qu’ils seront pour moi l’objet de mon intérêt le plus vif. »

Le maire de Porto-Ferrajo lui remit les clefs de la ville ; la mairie devint palais impérial. Un Te Deum auquel Napoléon assista fut chanté dans la cathédrale. Là finit l’investiture d’exil du ci-devant maître du monde.

Napoléon avait fait arborer sur la frégate anglaise le drapeau Elbois, il le conserva pendant son séjour dans l’île. Le drapeau était fond blanc, traversé diagonalement d’une bande rouge semée de