Page:Mullié - Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, I.djvu/173

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« Dans ces nouvelles et grandes circonstances, mon cœur fut déchiré ; mais mon âme resta inébranlable. Je ne consultai que l’intérêt de la patrie ; je m’exilai sur un rocher au milieu des mers : ma vie vous était et devait encore vous être utile, je ne permis pas que le grand nombre de citoyens qui voulaient m’accompagner partageassent mon sort ; je crus leur présence utile à la France, et je n’emmenai avec moi qu’une poignée de braves nécessaires à ma garde.

« Élevé au trône par votre choix, tout ce qui a été fait sans vous est illégitime. Depuis vingt-cinq ans la France a de nouveaux intérêts, de nouvelles institutions, une nouvelle gloire qui ne peuvent être garanties que par un gouvernement national et par une dynastie née dans ces nouvelles circonstances. Un prince qui régnerait sur vous, qui serait assis sur mon trône par la force des mêmes armées qui ont ravagé notre territoire, chercherait en vain à s’étayer des principes du droit féodal ; il ne pourrait assurer l’honneur et les droits que d’un petit nombre d’individus ennemis du peuple, qui depuis vingt-cinq ans les a condamnés dans toutes nos assemblées nationales. Votre tranquillité intérieure et votre considération extérieure seraient perdues à jamais.

« Français ! dans mon exil, j’ai entendu vos plaintes et vos vœux ; vous réclamez ce gouvernement de votre choix qui seul est légitime. Vous accusiez mon long sommeil, vous me reprochiez de sacrifier à mon repos les grands intérêts de la patrie.

« J’ai traversé les mers au milieu des périls de toute espèce, j’arrive parmi vous, reprendre mes droits qui sont les vôtres. Tout ce que des individus ont fait, écrit ou dit depuis la prise de Paris, je l’ignorerai toujours ; cela n’influera en rien sur le souvenir que je conserve des services importants qu’ils ont rendus, car il est des événements d’une telle nature qu’ils sont au-dessus de l’organisation humaine.

« Français ! il n’est aucune nation, quelque petite qu’elle soit, qui n’ait eu le droit de se soustraire et ne se soit soustraite au déshonneur d’obéir à un prince imposé par un ennemi momentanément victorieux. Lorsque Charles VII rentra à Paris et renversa le trône éphémère de Henri VI, il reconnut tenir son trône de la vaillance de ses braves et non d’un prince régent d’Angleterre.

« C’est aussi à vous seuls, et aux braves de l’armée, que je fais et ferai toujours gloire de tout devoir. »

Le 6, Napoléon partit de Gap pour Grenoble ; avant de parvenir aux murs de cette ville, un bataillon de la garnison qu’on envoyait pour le combattre vint à sa rencontre. Napoléon alla le reconnaître, et lui envoya un officier pour parlementer ; celui-ci ne fut pas écouté : « On m’a trompé »,dit l’Empereur à Bertrand. « N’importe, en avant ! » Et mettant pied à terre, il découvre sa poitrine : « S’il est parmi vous, dit-il aux soldats de Grenoble, s’il en est un seul qui veuille tuer son général, son Empereur, il le peut, le voici. » Les soldats répondirent par des cris de Vive l’Empereur ! dès ce moment, son triomphe fut assuré. Le lendemain, le colonel Labédoyère lui amena le 7e de ligne, et le soir du même jour, il fit sou entrée à Grenoble. Les portes de cette ville étaient fermées par ordre du général Marchand ; les habitants les brisèrent, et dirent à Napoléon : « Tenez, au défaut des clés de votre bonne ville, en voici les portes. » — « Tout est décidé maintenant, dit Napoléon à ses officiers, tout est décidé, nous allons à Paris. » Le lendemain, 8 mars, il fut complimenté en qualité d’Empereur par toutes les autorités civiles,