Page:Mullié - Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, I.djvu/195

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Le 7 mars, avait commencé la crise qui devait l’emporter. « Là, c’est là », disait-il, en montrant sa poitrine, et saisissant la main du docteur Antomarchi, et l’appuyant sur son estomac : « C’est un couteau de boucher qu’ils ont mis là, et ils ont brisé la lame dans la plaie… »

Il disait et il répétait : « Le café fort et beaucoup me ressuscite, il cause une cuisson interne, un rongement singulier, une douleur qui n’est pas sans plaisir… J’aime mieux souffrir que de ne point sentir… Mon mal me mord, je pense que les insectes éclos de la fange contre-révolutionnaire bourdonnent : que, nouveau Prométhée, je suis cloué à un roc où un vautour me ronge. Oui, j’avais dérobé le feu du Ciel pour en doter la France ; le feu est remonté à sa source et me voilà !… L’amour de la gloire ressemble à ce pont que Satan jeta sur le chaos, pour passer de l’enfer au paradis ; la gloire joint le passé à l’avenir, dont il est séparé par un abîme immense. »

Le 1er mai, il s’était levé ; mais une faiblesse l’obligea à se faire recoucher. Il avait fait placer en face de son lit le buste de son fils, sur lequel il avait constamment les yeux fixés. Le 3, les symptômes devinrent plus alarmants. Le 4, on eut quelque espoir.

Napoléon croyait fermement à l’immortalité de l’âme, aussi voulut-il sortir de ce monde en bon chrétien. La veille de sa mort, il fit dresser secrètement un autel dans la pièce voisine de sa chambre. Le chapelain fut appelé, le moribond se confessa, communia, après quoi il dit : « Je suis en paix avec tout le monde. » Le lendemain, 5 mai, à sept heures du matin, on l’entendit balbutier : « Rien à mon fils que mon nom !… Mon Dieu !… La nation française… Mon fils… »

France… France… Ce furent les derniers mots qu’il prononça. À six heures du soir, au moment où le soleil quittait l’horizon, Napoléon croisa les bras avec effort, et prononça les mots têtearmée… jeta un dernier regard sur le buste de son fils et expira, étant âgé de cinquante et un an, sept mois, vingt jours18.