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« Je n’ai point oublié que c’est à votre vertueux exemple et à vos sages leçons que je dois la haute fortune à laquelle je suis arrivé. Sans la religion, il n’est point de bonheur possible… Je me recommande à vos prières. » Traversant Dôle pour aller en Italie, il fit appeler le père Charles. Au moment de le quitter, celui-ci s’écria, les larmes aux yeux et d’une voix prophétique : Vale, prosper, et régna (Allez, heureux mortel, et régnez).

Il y avait aussi à Brienne un maître d’écriture qui donna dés leçons de son art à Napoléon. Quand celui-ci fut parvenu à l’Empire, un homme déjà vieux et assez mal vêtu, se présente au palais de Saint-Cloud et demande la faveur d’être présenté à Sa Majesté. Introduit dans le cabinet du monarque : Qui êtes-vous, et que me voulez-vous ? lui demande sèchement Napoléon. — Sire, répond en balbutiant le solliciteur, c’est moi qui ai eu l’honneur de donner des leçons d’écriture à Votre Majesté pendant quinze mois.Vous avez fait là un bel élève, répond vivement l’Empereur ; je vous en fais mon compliment. Puis se prenant à rire, il lui adressa quelques paroles bienveillantes et lui dit, en le congédiant : J’aurai soin de mon maître d’écriture.

Peu de jours après, le pauvre calligraphe reçut le brevet d’une pension de 1.200 francs. Dabobal, maître d’escrime à Brienne, et qui avait donné des leçons au jeune Bonaparte, devint sous-officier de gendarmerie, grâce sans doute à la protection de son élève.

Enfin, les portiers de Brienne, Hauté et sa femme, vinrent finir leurs jours à la Malmaison, en qualité de concierges. On le voit, Napoléon n’était pas ingrat, il se souvenait de tout le monde. La manière dont il prononçait Napoilloné, lui fit donner par ses camarades le sobriquet de la Paille-au-nez.

Napoléon n’avait de goût que pour les connaissances solides ; aussi se livrait-il avec ardeur à l’étude des mathématiques, la seule de toutes les sciences qui soit vraiment digne de ce nom. Il eût probablement étudié avec le même empressement la physique, la chimie, l’astronomie, si l’école de Brienne lui en eût fourni l’occasion et les moyens. Quant aux arts d’agrément, à la littérature et mêmes aux langues étrangères, il en a toujours fait peu de cas : c’était pour lui de vains amusements de l’esprit, et voilà pourquoi il n’a jamais su écrire et parler correctement le français, la langue la plus usuelle de son empire ; cependant on assure qu’à l’âge de treize ans, il composa la fable suivante :


Le Chien, le Lapin et le Chasseur.

César, chien d’arrêt renommé,
Mais trop enflé de son mérite,
Tenait arrêté dans son gîte
Un malheureux lapin de peur inanimé.
« Rends-toi ! lui cria-t-il d’une voix de tonnerre, »
Qui fit au loin trembler les peuplades des bois :
« Je suis César, connu par ses exploits,
« Et dont le nom remplit toute la terre. »
À ce grand nom, Jeannot-Lapin,
Recommandant à Dieu son âme pénitente,
Demande d’une voix tremblante :
« Très-sérénissime Mâtin,
« Si je me rends, quel sera mon destin ?
« — Tu mourras. — Je mourrai ! dit la bête innocente ;
« Et si je fuis ? — Ton trépas est certain,
« Quoi ! reprit l’animal qui se nourrit de thym,
« Des deux côtés je dois perdre la vie ?
« Que votre auguste seigneurie
« Veuille me pardonner, puisqu’il me faut mourir,
« Si j’ose tenter de m’enfuir. »
Il dit et fuit en héros de garenne.
Caton l’aurait blâmé : je dis qu’il n’eut pas tort ;
Car le Chasseur le voit à peine
Qu’il l’ajuste, le tire…, et le Chien tombe mort.
Que dirait de ceci notre bon Lafontaine ?
Aide-toi, le Ciel t’aidera.
J’approuve fort cette méthode-là.