Page:Mullié - Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, II.djvu/237

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ébranlé dans sa résolution, veut encore se projeter et défiler, dans l’épaisse fumée dont le Marengo est environné, les voiles menaçantes des navires anglais qui viennent de secourir le London. La Belle-Poule, engagée déjà avec la frégate l’Amazone, combat à la fois le London et le nouvel assaillant qui lui prête le travers. La résistance était belle, mais désespérée : c’étaient deux navires luttant bord à bord avec toute une escadre, sans qu’une voix se fût élevée à bord de ces navires pour parler de se rendre. Un seul incident est remarqué sur le gaillard d’arrière du Marengo : l’amiral vient d’être transporté au poste des chirurgiens, et à la place qu’il occupait est monté le capitaine Vrignaud ; le capitaine de frégate Chasseriau remplace son commandant, qui, lui-même, quelques minutes auparavant, a remplacé sur sou banc de quart l’amiral Linois, grièvement blessé. « Tous nos officiers passeront sur ce banc de quart, » se disent tout bas les hommes de l’équipage ; et tout l’équipage continue à combattre en silence et toujours avec fureur.

A chaque minute, l’amiral Linois et le commandant Vrignaud, l’un avec le mollet droit enlevé, et l’autre avec un bras de moins, donnaient au lieutenant Armand des ordres que celui-ci s’empressait de transmettre au capitaine de frégate devenu si vite le commandant du Marengo.

A neuf heures et demie enfin et après six heures de combat, le Marengo et la Belle-Poule, entourés par sept vaisseaux de ligne et plusieurs frégates, sentirent l’inutilité de la résistance, et commencèrent à concevoir l’impuissance des moyens qui leur restaient pour résister. Huit pièces seulement, à bord du vaisseau français, se trouvaient encore en état de faire feu ; les batteries, commandées par les lieutenants Ravin et Kerdrain, épuisées par le nombre d’hommes qu’elles avaient été obligées de fournir pour remplacer les morts dont les dunettes et les gaillards étaient couverts, ne tiraient plus qu’à de longs intervalles quelques coups de canon de retraite. Tous les officiers étaient blessés, il n’y avait plus que des victimes à offrir à la supériorité invincible des forces de l’ennemi. L’état-major et les maîtres furent consultés ; et, à neuf heures quarante minutes, le pavillon en lambeaux fut amené lentement sur les tronçons des mâts du vaisseau le Marengo haché, percé à jour et à moitié coulant bas d’eau sous la volée de toute l’escadre ennemie rassemblée autour de ses débris fumants.

Le mot de l’amiral John Varrens, sur ce combat, mérite d’être rapporté : « Voilà dit-il en apprenant à quel bâtiment il venait d’avoir affairé, un vaisseau qui s’est montré digne du nom qu’il porte. » Les vainqueurs comptèrent sur le vaisseau amiral 60 hommes tués, 82 blessés, et parmi ces derniers, Linois et son capitaine de pavillon.

Au milieu de tant d’expéditions durant lesquelles, depuis son départ de Brest, il avait coupé douze fois la ligne, les nouvelles de France lui étaient cependant parvenues. En effet, le commandant des forces navales françaises dans l’Inde adressait à l’Empereur des Français la lettre suivante, datée de l’Ile-de-France, le 23 frimaire an XIII.

« Sire, le vaisseau de l’État, environné d’écueils, allait périr, votre main savante saisit le gouvernail et le conduit au port. Puisse le pilote habile qui sauva mon pays, occuper longtemps le rang élevé où viennent de l’appeler la reconnaissance des Français et l’admiration du monde entier ! Puisse-t-il jouir longtemps de la gloire et du bonheur que son courage, ses talents et ses vertus ont