Page:Mullié - Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, II.djvu/591

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Janson, officier d’ordonnance de l’Empereur, vint apporter au maréchal un dernier ordre avec ces mots : « Maréchal, le salut de la France est dans vos mains. » — Désespéré de ne point être maître de cette position, de voir les forces de l’ennemi y grossir à chaque instant, et les effets de son infanterie demeurer impuissants, le maréchal fit appeler le général commandant la réserve des cuirassiers, et lui répétant les paroles de l’Empereur, il ajouta : « Mon cher Général, il s’agit du salut de la France, il faut un effort extraordinaire ; prenez votre cavalerie, jetez-vous au milieu de l’armée anglaise, écrasez-la, passez-lui sur le ventre. » — « Mais, monsieur le maréchal, je n’ai avec moi qu’une de mes brigades, les trois autres sont encore à deux lieues en arrière, d’après vos ordres mêmes ; que puis-je faire avec une brigade contre une armée ? » — « N’importe, chargez avec ce que vous avez ; écrasez l’armée anglaise, passez-lui sur le corps ; le salut de la France est dans vos mains. » — « Je puis certainement, monsieur le Maréchal, me dévouer, moi et les miens, à une mort certaine ; mais que du moins notre perte serve à quelque chose. « Bien certainement, avec une brigade, je ferai une trouée ; vous avez la division de cavalerie légère de la garde et la division du général Piré, qu’elles se tiennent prêtes à entrer après nous dans le sillon que nous aurons tracé. » — « Partez, Général, je vous ferai suivre à petite portée de pistolet par toute la cavalerie que j’ai sous la main. » — Le général qui parlait ainsi était le général Kellermann, le même qui, à Marengo, avait, par une heureuse inspiration, décidé la victoire avec une charge de 400 cavaliers ; le même qui en Espagne, à Alba-de-Tormès, avec 3.000 hommes de cavalerie à peine, avait détruit l’armée de 20.000 hommes du duc del Parque ; le même qui, dans la campagne de 1814, avait, avec 1.500 chevaux, refoulé dans Provins 25.000 Russes. — Le général Kellermann, fils du maréchal, était un petit homme, idéalement laid, mais sur un champ de bataille, sa figure s’illuminait, il devenait presque beau ; c’était l’un des meilleurs, sinon le meilleur officier général de cavalerie de toute l’armée ; sage, prudent, et en même temps courageux au delà de toute idée ; il ne comprenait pas ces futiles charges de cavalerie, qui viennent aboutir à un demi-tour à droite par quart au premier feu d’un carré ; avec lui, il fallait périr dans une charge ou enfoncer. Le premier régiment ennemi qu’il rencontra était le 69e d’infanterie ; ce régiment, composé d’Écossais, commença le feu à trente pas ; mais sans être arrêtés, les cuirassiers lui passèrent sur le ventre, le détruisirent en entier et renversèrent ensuite tout ce qui se trouva sur leur chemin ; quelques-uns même pénétrèrent jusque dans la ferme des Quatre-Bras et y furent tués. Le duc de Wellington n’eut que le temps de sauter à cheval et de se dérober, par une prompte fuite, à cette terrible attaque. — La charge des cuirassiers avait réussi contre toute probabilité, une large brèche était faite, l’armée ennemie était ébranlée, les lignes anglaises étaient flottantes, incertaines, dans l’attente de ce qui allait arriver ; le moindre appui de la cavalerie qui devait être en réserve, le moindre mouvement de l’infanterie qui devait être engagée sur la droite, auraient complété le succès ; rien ne s’ébranla ! Cette cavalerie si redoutable est abandonnée à elle-même : seule, dispersée, débandée par l’impétuosité de sa charge, elle n’est plus dans les mains de ses chefs ; elle se voit assaillie de coups de fusil de l’ennemi, revenu de son étonnement et de sa