Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/108

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grand drame de 89, mais encore ils y avaient joué un rôle plus ou moins important.

Combien d’individus, au contraire, éprouvent des sensations auxquelles les circonstances extérieures ne sembleraient pas devoir donner lieu !

Que l’on pense aux romans de Robinson Crusoë ; à l’emprisonnement de Silvio Pellico ; à la charmante Picciola de Saintine ; à la lutte intérieure d’une vieille fille qui, pendant toute sa vie, à couvé un unique amour sans jamais trahir d’un mot ce qui se passait en son âme ; aux impressions d’un philanthrope qui, sans se mêler directement aux événements politiques, s’intéresse vivement au bien-être de ses concitoyens pour lesquels il craint ou espère ; à l’homme attentif à chaque progrès, qui s’enthousiasme pour une idée sublime, et rougit d’indignation quand il la voit rejetée et foulée aux pieds par ceux qui, au moins pendant un moment, l’emportent sur elle. Qu’on songe au philosophe qui, de sa cellule, voudrait enseigner la vérité au monde, et qui s’aperçoit que sa voix est couverte par un piétisme hypocrite, ou par un charlatanisme avide. Que l’on se figure Socrate, — non pas lorsqu’il vida la coupe empoisonnée, car, ici, j’ai en vue l’expérience du cœur et non celle qui naît des choses extérieures, — combien son âme dut elle être amèrement affligée, quand, lui qui cherchait le bien et le vrai, il s’entendit appeler : „corrupteur de la jeunesse, et contempteur des dieux.”

Ou mieux encore, qu’on pense à Jésus-Christ, lorsqu’à travers ses larmes il regardait Jérusalem, et se lamentait de ce qu’elle n’avait pas voulu !

Ces cris douloureux poussés par ceux qui vont boire la ciguë ou porter la croix, ne sortent que de cœurs blessés où il y a souffrance… où il y a expérience !