Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/223

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lui, c’est un voleur ! » Je lui réponds : » Comment, diantre, vous fâchez-vous ! N’ai-je pas crié partout que votre fille était très jolie ! » Vous le voyez, j’y gagne doublement. Tous les deux, nous sommes épiciers ; je lui enlève ses clients, qui se gardent bien d’aller acheter leurs raisins secs chez un voleur, et… en même temps, j’ai la réputation d’un homme juste et bon, qui loue et apprécie la fille de son concurrent.

— Allons ! Allons ! fit Declari ; vous poussez le trait trop avant… c’est de l’exagération.

— Cela vous paraît ainsi, parce que la comparaison est un peu nue. Emmaillotez-moi ce : » lui, c’est un voleur ! » Et vous ne crierez plus ; je maintiens donc ma comparaison. Quand nous sommes forcés de reconnaître chez un de nos semblables, des qualités méritant l’estime, la déférence ou le respect, il nous est agréable de découvrir à côté de ces qualités-là, un point noir qui nous dispense, en tout ou en partie, de ce tribut d’admiration. » On s’inclinerait volontiers devant ce grand poëte !… Mais ce poëte bat sa femme ! » Voyez-vous, mes amis ? Nous sautons tout de suite sur les taches, sur les marques bleues, qui marbrent le bras de cette femme, et nous en arguons pour lever la tête, et marcher de front avec le grand poëte !… En fin de compte, nous sommes très contents qu’il la batte, cette pauvre femme ! Et pourtant, c’est une brutalité bien méprisable ! Méprisable aussi, notre satisfaction !

Dès que nous sommes obligés de reconnaître chez un être humain des qualités exceptionnelles qui le rendent digne d’un piédestal… dès que, sans risquer de passer pour des ânes, des sans cœur, ou des envieux, il nous est impossible de récuser la