Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

légitimité de ses prétentions et de ses droits, nous nous écrions : » Eh bien ! soit ! dressez lui une statue ! » Mais, rien que pendant le court espace de temps nécessaire à la pose de la statue sur le piédestal, au moment même où il se figure que nous sommes en extase devant ses mérites, à genoux devant son image, nous préparons déjà le lasso, nous faisons le nœud coulant, qui doit servir à le renverser, le cas échéant, à la première occasion favorable. Plus on renverse de statues, plus on a de chance, soi-même, de devenir statue à son tour. On peut toujours occuper un piédestal vide ; impossible de s’y nicher, si la place est prise. C’est une éternelle vérité ; et, pareils à ces chasseurs qui partent pour la chasse aux corbeaux, sans en avoir jamais vu un seul, nous faisons descendre ces statues de leur piédestal, espérant un jour monter sur ce piédestal, où nous ne monterons jamais. Prenons un exemple : Soiffard, Jules Soiffard, qui vit de choucroute et de petite bière, tâche de s’élever en abaissant tout ce qui est plus haut que lui. Pour lui, Alexandre n’était pas grand… Alexandre n’était qu’un ivrogne ! Et pourtant le sieur Jules Soiffard n’avait pas la moindre chance de disputer à Alexandre la conquête du monde.

De toutes façons, je tiens pour certain, que personne n’aurait eu l’idée de prendre le général Vandamme, pour le type de la bravoure, si cette même bravoure n’avait pas dû servir de véhicule à l’inévitable : mais… sa moralité !

En même temps, nul n’aurait tant appuyé sur cette immoralité flagrante, — la plupart de ses accusateurs n’étant pas eux-mêmes irréprochables, de ce chef, — s’ils n’avaient éprouvé le besoin de