Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/316

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qu’avec toute sa sagacité, il était d’une naïveté primitive.

Je vais essayer de vous expliquer comment Havelaar s’était formé cette opinion.

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Bien peu de lecteurs européens peuvent se faire une juste idée de l’élévation à laquelle doit atteindre un Gouverneur-général, pour ne pas rester au-dessous de la hauteur de ses fonctions ; et qu’on ne s’imagine pas que je porte un jugement trop sévère, quand j’émets l’opinion que très peu d’entr’eux, — pas un seul peut-être, — n’ont pu remplir les conditions du programme.

Sans mentionner les qualités intellectuelles, et le grand cœur, qui lui sont nécessaires, voyez la hauteur vertigineuse, à laquelle se trouve subitement transporté et placé un homme qui, hier encore petit bourgeois, tient aujourd’hui sous sa main des millions de sujets !

Lui, qui, peu de temps auparavant, se confondait dans son entourage, il se sent inopinément élevé au-dessus d’une multitude bien plus grande que le petit cercle d’individus parmi lesquels disparaissait sa mince personnalité.

Je crois que je n’ai pas tort de qualifier de vertigineuse, l’élévation, faisant penser au vertige éprouvé par un homme qui, sans s’y attendre, voit un abîme à ses pieds, ou à l’aveuglement qui nous frappe quand nous passons brusquement d’une profonde obscurité à un jour éclatant.

Même chez les gens qui possèdent une force extraordinaire, les nerfs de la vue ou du cerveau ne résistent pas à des transitions si violentes.