Page:Multatuli - Max havelaar, traduction Nieuwenhuis, 1876.djvu/422

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une lettre à la main ; cette lettre je l’ai devant moi, lecteur !

— Regarde ! s’écria-t-il, dans cette lettre il ose me faire des propositions, au sujet du genre de travail qu’il veut imposer aux hommes qu’il a convoqués illégalement ! N’est-ce pas une impudence, qui passe toutes les bornes ! Et sais-tu de qui il s’agit, là ? Il y a là-dedans un tas de femmes, et de petits enfants, de mères avec leurs nourrissons, de femmes enceintes, qui sont amenées de Parang-Koudjang au chef-lieu pour travailler à son profit ! Des hommes, il n’y en a plus ! Et elles n’ont rien à manger, et elles dorment sur la dure, et elles se nourrissent de sable !… Va donc manger du sable avec elles !… Faut-il qu’elles vivent ainsi jusqu’au moment où l’on voudra bien me nommer Gouverneur-général ! Sacré mille noms de noms !…

Tine savait parfaitement à qui Max en avait en lui parlant si durement, à elle qu’il aimait tant !

— Et, continua Havelaar, tout cela est mon affaire ! Cela me regarde personnellement ! Il y a, en ce moment, de pauvres êtres, qui rôdent, là, dehors, et qui se disent, en voyant la lumière de nos lampes : » Là réside le misérable qui devrait nous protéger ! Il est assis, là, bien tranquillement, près de sa femme, et de son enfant ! Il dessine des patrons de broderie ! Et nous sommes couchés dans un fossé comme des chiens sauvages ! Et nous dormons sur la route avec nos enfants ! » Oui ! oui ! je l’entends ! je l’entends distinctement ce cri de vengeance, et de malédiction poussé contre moi !… Viens, Max, viens !

Et saisissant l’enfant entre ses bras, il le pressa sur sa poitrine, et l’embrassa avec une violence, qui l’effraya.