Page:Musique des chansons de Béranger.djvu/328

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Méhul a bien fait de ne pas mépriser la musique d’amateur, la musique d’un chansonnier. Sans doute il était de force à composer une ronde comme You piou piou ! L’eût-il aussi bien réussie ? c’est une question. Méhul s’est trouvé une fois en lutte avec un simple amateur, et la victoire ne lui est pas demeurée. Le Chant du départ est certes une magnifique inspiration, du moins le début ; mais ce début grandiose et solennel tourne court et tombe à plat : c’est un superbe portique derrière lequel il n’existe rien. Au contraire, voyez la Marseillaise ! quel développement ! quel coloris soutenu ! quel souffle inspiré jusqu’à la fin ! Après la majesté des premières mesures, comme la passion bouillonne, monte, éclate et se répand sur ces deux terribles marchons ! marchons ! où l’harmonie de Gossec a fait entendre un coup de tonnerre à l’aide d’une simple dissonance de triton. Ce fut un trait de génie, ce triton ! Rouget de Lisie ne l’avait pas trouvé, mais il avait trouvé le chant qui le comportait, il avait trouvé le cri de l’âme, et ce cri avait été compris de tous les ignorants comme l’auteur. Méhul, profond harmoniste, en produisant le Chant du départ, ne laissa rien à y ajouter : mais quand Gossec instrumenta la Marseillaise dans l’ouverture du Camp de Grandpré, il traduisit ce que la foule sentait d’instinct, il accentua le trait comme il devait l’être, et le redoutable si bémol mugissant à la basse tandis que les autres voix jettent pour la seconde fois l’accord parfait d’ut majeur, cette suspension harmonique répandit dans toute la salle un frisson d’enthousiasme et d’épouvante.

J’ai souvent, en 1848, entendu la Marseillaise exécutée par des orchestres de théâtre ou de musique militaire ; jamais aucun n’a employé le merveilleux effet d’harmonie que Gossec avait mis sur ce passage : tous sonnaient deux fois de suite l’accord parfait ; la trouvaille du vieux maître s’était reperdue dans l’oubli. Eh bien ! dépourvue de cette addition de force, l’hymne paraissait encore assez puissante.

Si nous portons nos regards sur un genre tout opposé, y a-t-il dans aucune musique, chez aucun peuple, un chant plus doux, plus pathétique, allant plus droit au cœur, que la romance du