Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/133

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petite scène sera pour vous seule, d’abord parce que la noble enfant déteste les indiscrétions, et ensuite parce qu’on a fait, depuis que je vais quelquefois chez elle, tant de sots propos et de bavardages, que j’ai pris le parti de ne pas même dire que je l’ai vue au Théâtre-Français.

On avait joué Tancrède ce soir, et j’étais allé dans l’entr’acte lui faire compliment sur son costume, qui était charmant. Au cinquième acte, elle avait lu sa lettre avec un accent plus touchant, plus profond que jamais ; elle-même m’a dit qu’en ce moment elle avait pleuré et s’était sentie émue à tel point, qu’elle avait craint d’être forcée de s’arrêter. À dix heures, au sortir du théâtre[1], le hasard m’a fait la rencontrer sous les galeries du Palais-Royal, donnant le bras à Félix Bonnaire, et suivie d’un escadron de jeunesse, parmi lesquelles mademoiselle Rabut, mademoiselle Dubois, du Conservatoire, etc. Je la salue ; elle me répond : « Je vous emmène souper. »

Nous voila donc arrivés chez elle[2]. Bonnaire s’éclipse, triste et fâché de la rencontre ; Rachel sourit de ce piteux départ. Nous entrons ; nous nous asseyons, les amis de ces demoiselles chacun à côté de sa chacune, et moi à côté de la chère Fanfan. Après quelques propos insignifiants, Rachel s’aperçoit qu’elle a

  1. La tragédie commençait à huit heures et ne durait guère qu’une heure et demie.
  2. Mademoiselle Rachel demeurait alors passage Véro-Dodat.