Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/178

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quand je te vois ainsi emplumé, couvert de ces brillants hochets… Tu te ris de nos lois somptuaires !… Nous te confierons quelque jour à messer Grande… Allons, trêve de gronderie, je veux être gai aujourd’hui, car j’ai en poche de bonnes nouvelles… Mais qu’as-tu donc, Michel ? Tu es bien pensif.

Michel.

Pardon, seigneur. Comment va votre santé ? Vous êtes bien matinal aujourd’hui.

Lorédan.

Vieille habitude, mon cher ami, vieille habitude de commerçant ; car, bien que je ne puisse plus faire profession de l’être, grâce à leur ridicule défense, je le suis et le serai toujours… Sotte et inutile chimère de vouloir nous en empêcher !… Et c’est à cette heure-ci qu’on reçoit ses lettres, qu’on y répond, qu’on règle ses comptes.

Fabrice.

Ainsi, vous-même, vous bravez les lois ?

Lorédan.

Ah ! ah ! garçon, cela te fait rire ? Si je les brave, du moins ce n’est pas pour jouer aux dés. Certes, personne dans Venise n’est plus fier que moi de son nom ; personne, j’ose le dire, ne l’est à plus juste titre. Mais est-ce à dire pour cela qu’un honnête homme, de quelque rang qu’il soit, ne puisse travailler à sa fortune ? On ne m’en guérira jamais. Je suis patricien jusqu’à la moelle des os, mais je suis banquier au fond du cœur,