Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Œuvres posthumes.djvu/284

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chose qui me réveille de mon néant et qui me reporte vers un idéal que j’ai oublié par impuissance. Je n’ai plus le courage de rien penser. Si je me trouvais dans ce moment-ci à Paris, j’éteindrais ce qui me reste d’un peu noble dans le punch et la bière, et je me sentirais soulagé. — On endort bien un malade avec de l’opium, quoiqu’on sache que le sommeil lui doive être mortel. — J’en agirais de même avec mon âme.

N’y a-t-il pas ici quelque vieille tête à perruque et à système, pour me dire : « Tout cela est de votre âge, mon enfant. J’ai été comme cela aussi dans ma jeunesse. Il vous faut un peu de distraction, pas trop ; et puis vous ferez votre droit, et vous entrerez chez un avoué. » — Ce sont ces gens-là que j’étranglerais de mes mains. La nature a donné aux hommes le type de tout ce qui est mal : la vipère et le hibou sont d’horribles créations ; mais qu’un être qui pourrait sentir et aimer, éloigne de son âme tout ce qui est capable de l’orner, et appelle aimer un passe-temps, et faire son droit une chose importante ! — anatomistes qui disséquez les valvules triglochines, dites-moi si ce n’est pas là un polype ?

Tu vois que je t’écris tout ce qui me passe par la tête ; fais-en autant, je t’en prie. J’ai besoin de tes lettres ; je veux savoir ce qui se passe dans ton âme, comme tu sais tout ce qui se passe dans la mienne. Sans doute, elles se ressemblent beaucoup. — Nous sommes animés du même souffle. — Pourquoi celui qui nous l’a donné